On entend beaucoup parler de RSE, mais concrètement, quelle est la part d’entreprises véritablement engagées en la matière ?
Goodwill-management (cabinet de conseil en stratégie soutenable), l’Agence Lucie (entreprise de labellisation RSE) et Kerlotec (groupe de petites entreprises - agriculture, énergie, construction et centre de formation), se sont intéressées dans une nouvelle étude à l’impact environnemental des entreprises françaises. Parmi les questions soulevées, celle de la part des entreprises françaises engagées en RSE.
Résultat : seulement 8 % des entreprises françaises ayant 10 salariés ou plus feraient preuve d’un engagement fort en RSE. C’est peu, note l’étude. Mais ses auteurs précisent avoir réalisé une autre estimation, en 2019, basée sur des données de 2018, et qui montrait alors un engagement fort de... 1 %. Le nombre d’entreprises engagées aurait donc été multiplié par huit en l’espace de six ans.
À noter que selon les résultats de cette enquête, 70 % des entreprises françaises, toutes tailles confondues, ne sont pas engagées dans une démarche RSE.
Pour avoir cet aperçu, les trois structures ont d’abord dénombré les entreprises fortement engagées en RSE en comptabilisant toutes celles affichant un critère d’engagement fort. Par exemple, certains labels (label LUCIE 26000 / LUCIE Progress 2, label B-Corp, etc.), ou les entreprises Sociétés à Mission, les entreprises ayant publié un bilan carbone sur le site de l’ADEME pour des raisons de crédibilité, etc.
Dans un second temps, elles ont estimé une proportion des entreprises françaises chez qui le concept de RSE est, “peu ou prou, mis en œuvre” (estimation résultant de l’expérience accumulée pendant 15 ans au sein de l’Agence Lucie dans le cadre de son activité de prospection, est-il précisé). Les trois structures ont corroboré le tout par le sondage réalisé en mars 2024 par DiotSiaci Institute et Ifop : "Priorité et attentes des salariés sur la politique RSE de leur entreprise". Deux niveaux de maturité ont alors été identifiés au sein des entreprises engagées “peu ou prou” : l’engagement crédible et l’engagement partiel.
Le nombre d’entreprises qui doivent (...) mettre en place une démarche RSE et publier leurs résultats selon un format normalisé (...) est multiplié par 5."
Trois facteurs principaux
Si les résultats s’avèrent encourageants, malgré le taux bas d’entreprises engagées, les auteurs de l’enquête attribuent trois facteurs à cette progression du nombre d’entreprises engagées. Tout d’abord, la crise Covid, qui selon eux “a ancré dans l’esprit de beaucoup de dirigeants, l’idée que notre monde était en voie de fragilisation généralisée très rapide et qu’il fallait agir”.
Ensuite, le côté désormais palpable de la dégradation du milieu naturel, avec des problèmes environnementaux qui se conjuguent au présent (incendies, inondations, pénuries…).
Et enfin et surtout, l’arrivée de la règlementation européenne issue du Green Deal appelée CSRD. Les auteurs de l’enquête rappellent qu’elle impose un reporting RSE beaucoup plus exigeant que précédemment pour les entreprises de plus de 250 salariés (contre 500 auparavant).
La RSE permet, en restant sur des moyennes très macroscopiques, de passer d’un dépassement de ses quotas de limites planétaires d’un facteur 3 à un facteur 2,4 à 2,1. C’est une belle performance et elle n’est pas si simple à réaliser mais c’est évidemment très insuffisant.”
“Le nombre d’entreprises qui doivent de ce fait mettre en place une démarche RSE et publier leurs résultats selon un format normalisé en est multiplié par 5, est-il pointé. Cette exigence pèse désormais sur toutes les entreprises de taille intermédiaire et plus seulement sur les grands groupes. En outre, elle se propage au sein des PME qui sont leurs fournisseurs car la CSRD impose aux entreprises qui y sont assujetties d’impliquer leurs partenaires.”
L’étude a soulevé plusieurs autres questions, sur l’impact environnemental global des entreprises françaises par rapport aux limites planétaires, mais aussi sur l’impact environnemental des entreprises engagées en RSE.
Un constat alarmant
Le constat est sans appel... L’étude note en effet que les entreprises françaises dépasseraient de trois fois leur quota de limites planétaires. Les auteurs ont pris en compte les émissions de GES, la pollution atmosphérique, la pollution de l’eau, les déchets solides, la consommation de matières fossiles et minérales, la consommation d’eau, l’artificialisation des sols et la destruction de la biodiversité (détails et méthodologie à retrouver dans l’étude).
“Si nous dépassons nos quotas d’un facteur trois, il en résulte qu’au mois de mai, les entreprises françaises commencent à consommer leur quota de ressources de l’année suivante, est-il indiqué. Comme la situation n’est pas nouvelle, elles ont déjà consommé leurs quotas de plusieurs décennies à venir.”
Une fois les choses posées, la question est de savoir si la RSE, telle que pratiquée aujourd’hui, est suffisante “pour faire entrer l’économie dans une ère de soutenabilité”.
“Si tel est le cas, centrer les efforts des décideurs publics et privés sur un maintien de la progression exponentielle constatée depuis 2019 est suffisant, est-il souligné. Malheureusement ce n’est pas le cas.”
L’enquête menée par les trois structures œuvrant dans le domaine de la transition écologique et sociale des entreprises conclut “que la RSE telle qu’on la pratique aujourd’hui permet de réduire en moyenne l’empreinte environnementale d’une entreprise de 20 % à 30 %”.
Pas suffisant
“La RSE permet donc, en restant sur des moyennes très macroscopiques, de passer d’un dépassement de ses quotas de limites planétaires d’un facteur 3 à un facteur 2,4 à 2,1. C’est une belle performance et elle n’est pas si simple à réaliser mais c’est évidemment très insuffisant”, remarquent les auteurs.
Les trois structures qualifient ainsi la RSE de “nécessaire” mais pas “suffisante”. Comme “une étape” et non “un point d’arrivée”. “Si la soutenabilité est une échelle à 10 barreaux, la RSE exigeante permet de monter sur le 2ème ou le 3ème”, peut-on lire.
Quelles solutions, à terme ?
Les auteurs évoquent deux niveaux de RSE. Ils rappellent que la RSE 1.0 consiste pour une entreprise “à réduire ses externalités négatives et notamment ses impacts environnementaux”. Et que la RSE 2.0 vise quant à elle à rentrer “dans les limites planétaires” (mutations plus importantes). Pour eux, il faut agir pour qu’au plus vite, toutes les entreprises du pays soient engagées dans une démarche RSE 1.0. Ils estiment qu’au rythme actuel, ce sera le cas dans une décennie.
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En parallèle, il serait selon eux nécessaire “d’inciter fortement les entreprises RSE 1.0 à s’engager dans des démarches 2.0” ! Les auteurs lancent ainsi un véritable appel : “que toutes les personnes se sentant sincèrement concernées par la question de notre soutenabilité, quelles que soient leurs méthodes et leurs outils, qu’elles œuvrent pour la RSE 1.0 sérieuse ou pour la RSE 2.0 ‘ne lâchent rien’ et au contraire amplifient leurs actions et mobilisent autour d’elles” !