Pourquoi avez-vous décidé de créer Pimp your Waste ?
C'est un projet qui a commencé l'année dernière, face à un constat de crise écologique, sachant que le secteur du BTP est le premier producteur de déchets en France avec plus de 300 millions de tonnes par an. Nous, en tant qu'architectes, avons voulu saisir cette situation de crise comme une opportunité pour revaloriser des matériaux.
Concrètement, comment réalisez-vous vos meubles ?
On a développé un processus en quatre étapes. La première étape, c'est le moment où on récupère la matière. Nous avons mis en place un partenariat avec le centre de tri de Pantin de la société Suez, qui nous permet de récupérer de la matière dans les montagnes de déchets dont il dispose. Pendant la seconde étape, nous mesurons chacune des pièces que l'on a récupérées pour permettre de mieux ranger notre espace de stockage et de surtout mettre en place une base de données. Elle rassemble de nombreuses informations, de la taille à la colorimétrie. Cet ensemble de données nous permet d'automatiser les étapes suivantes grâce à nos algorithmes et de réorganiser la matière intelligemment.
Ce classement se fait selon différents critères qui concernent soit l'optimisation de la matière, soit l'esthétique du meuble. La troisième étape, c'est celle de la fabrication. On utilise une CNC, c'est-à-dire une fraiseuse assistée par ordinateur. Ce robot nous permet d'usiner chacune des pièces d'assemblages. Car toute la problématique du réemploi, c'est ça : savoir composer avec des éléments qui sont tous différents. On exploite la puissance de nos outils de traitement de données pour pouvoir répondre à cette complexité. Pour résumer, on récupère une matière aléatoire qui va nous fournir de la data pour notre algorithme. Ensuite, on lance notre algorithme sur des dessins de conception qui nous sont propres.
Pourquoi utilisez-vous des algorithmes ?
Les algorithmes que nous avons écrits nous permettent d'exploiter au maximum la puissance de nos outils. Ils sont capables d'analyser tous les éléments dans une base de données en l'espace d'une demi-seconde. C'est une manière pour nous de réduire les temps de conception. Actuellement, il existe beaucoup de projets de réemploi mais ils sont très chronophages.
Dessinez-vous vos meubles vous-mêmes ?
Oui, ce qui nous demande un certain travail. C'est aussi pour ça que nous sommes quatre. Actuellement nous nous occupons de toutes les étapes, de la conception à la fabrication de nos meubles.
L'idée est de rendre le mobilier en réemploi le plus accessible possible.
À qui destinez-vous vos meubles ?
À tout le monde. Actuellement nous travaillons sur une gamme de chaises et de fauteuils qui seront vendus entre 100 et 200 euros. L'idée est de rendre le mobilier en réemploi le plus accessible possible, mais nous sommes encore dans une phase de recherche et de tests. Nous comptons développer d'autres gammes pour permettre de démocratiser et de sensibiliser au réemploi. Nous voulons également montrer qu'on peut avoir une chaise faite à partir de matériaux recyclés, qui est à la fois esthétique et résistante. Notre processus de fabrication va également nous permettre à termes d'augmenter notre production et donc de réduire les coûts et les prix.
En quoi vos meubles sont-ils uniques ?
Ce qui rend nos chaises uniques, ce sont les matériaux récupérés que l'on utilise. Ils sont tous différents et ont tous leurs propres histoires. En revanche, les modèles des chaises sont standardisés. Nous allons proposer quatre modèles et ensuite c'est le platelage, l'assise ou encore la couleur qui seront différents d'une chaise à l'autre. Nous avons une silhouette de base mais notre finition est unique.
Vous avez déjà participé à des chantiers participatifs, qu'avez-vous tiré de ces expériences ?
Le fait de travailler avec du réemploi, c'est aussi une opportunité pour nous de travailler sur des chantiers, comme on l'a fait en mai dernier avec le collectif ICI. C'est un chantier qui a permis de fabriquer une quinzaine de mètres de mobilier urbain. Nous avons dessiné des bancs, puis nous avons regardé la matière que les habitants avaient à disposition. Rapidement, nous avons pu sortir des plans de fabrication pour ces bancs. Cela a permis de ranimer l'espace aux pieds des immeubles. Les habitants ont donc pu améliorer leur espace et surtout créer un échange le temps de cet évènement.
Pour l'instant vous ne réalisez que du mobilier en bois, comptez-vous utiliser d'autres matériaux ?
Le bois c'est un choix par rapport à notre échelle et à nos moyens. C'est plus simple de se concentrer sur un seul élément. Le bois est également une matière que l'on sait travailler facilement avec des outils comme la CNC. Mais par la suite nous souhaitons développer ce projet et travailler d'autres matières. Nous prévoyons également d'améliorer la traçabilité de nos matériaux pour améliorer notre data.
Quels sont vos projets ?
Nous aimerions travailler à une autre échelle. On pourrait imaginer un bâtiment entier réalisé à partir de matériaux réemployés. Pour l'instant, le plus important pour nous est de développer notre gamme de mobilier qui sera prochainement commercialisée sur notre site. Nous comptons également renouveler des opérations comme celle que nous avons réalisée au Parc de la Villette. Dans le cadre du Fab City Summit (ndlr : qui avait lieu en juillet dernier), nous avons installé du mobilier urbain le long du canal pendant deux semaines. Le but était à la fois de sensibiliser, de présenter notre projet et de répondre à un besoin de mobilier. Nous avions également fourni les chaises et les tables pour les débats et les conférences de l'évènement.
Cette interview a été réalisée en partenariat avec France Inter.