Entretien avec Christophe Revelli, directeur de ce Master et spécialiste de la finance responsable depuis plus de 10 ans.
Quelles sont les spécificités de ce Master par rapport à un Master classique en finance ?
Ce qui fait la différence, c'est que nous avons décidé de mettre le focus sur les enjeux de la finance durable et responsable dans un master spécialisé et entièrement dédié à ces questions. Dans des masters classiques, il y a généralement un module de 10, 20 ou 30 heures sur la finance éthique, les investissements socialement responsables, la finance responsable. Dans notre master, il y a plus de 200 heures. Ce master est le premier en France et en Europe à être aussi complet et détaillé sur ces enjeux. Les étudiants vont suivre des cours généraux, indispensables pour avoir une expertise financière (finance de marché, gestion d'actifs, analyse financière...), puis des cours plus spécifiques (analyse des risques extra-financiers, gestion responsable, impact investing, enjeux du changement climatique en finance).
A quel(s) besoin(s) répondait la création de cette formation au sein de la Kedge Business School ?
Nous nous sommes posés deux questions. Premièrement, quelle est notre expertise à Kedge Business School ? Notre expertise, c'est la "finance autrement" : nous avons une chaire de recherche depuis 10 ans sur les thématiques des investissements socialement responsables, de la finance solidaire et tout ce qui touche à la finance alternative. Nous avions donc des professeurs qui répondaient aux besoins pédagogiques. La deuxième question était celle du besoin. Nous nous sommes aperçus qu'il y avait une montée en puissance des enjeux de finance responsable, et qu'il y avait un véritable marché, mais qu'il n'y avait pas de formation correspondante.
Quels sont ces métiers auxquels se destinent les étudiants du Master ?
Certains étudiants vont intégrer des sociétés financières très engagées sur ces questions, en tant qu'analystes ESG ou gestionnaires d'actifs responsables. Mais d'autres, à l'issue du Master, ont été embauchés dans des sociétés classiques justement pour commencer à implémenter des procédures ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Puis, il y a des étudiants qui vont travailler dans des sociétés de gestion classiques car ils ont aussi une expertise financière. Nous avons de plus en plus de candidatures. Il y a une actualité très forte avec le plan d'action de la Commission européenne, beaucoup de banques qui annoncent le passage de l'ensemble de leur gestion à des investissements responsables. Donc les étudiants y viennent de plus en plus naturellement.
Ce type de formation est-il amené à se multiplier ?
Le besoin des entreprises va crescendo avec l'article 173 - mis en place par la loi relative à la transition énergétique de 2015 - qui oblige les sociétés de gestion et les institutionnels à communiquer sur leur réponse aux risques inhérents au changement climatique et à démontrer leur stratégie sur les critères ESG. Toutes les sociétés qui n'avaient pas pris en compte ces enjeux sont obligées maintenant de se pencher dessus, et il faut des experts. Cela implique de transformer les métiers afin d'intégrer ces questions dans le business model. En formation initiale, nous sommes les pionniers, mais je pense que les formations vont évoluer pour prendre en compte la transformation du marché. Il existe encore une séparation entre la finance classique telle qu'on la pratique, sur l'environnement de marché, les activités de trading, la cession d'actifs poussée - une finance plus mathématique, et une finance plus économique, au service des entreprises, des acteurs du développement économique et social, au service de la société, et pour cela il y a très peu - voire pas - de formations qui existent.
Notre objectif est de mettre la finance - qui est un outil de développement fantastique - au service de la société."
La finance est-elle en train de devenir plus "économique" ?
Aujourd'hui, on ne peut plus, selon moi, prendre une décision d'investissement, si elle n'a pas un impact positif sur la société. On a observé dans le temps via les crises que travailler sur du court-termisme, avec un objectif uniquement basé sur la performance et la rentabilité a ses limites en termes de business model et sur les régénérations de crises économiques et sociales. Les erreurs se reproduisent mais le système ne change pas. On est aujourd'hui dans une économie plutôt désencastrée : la finance gouverne l'économie et ensuite l'économie gouverne la société. C'est-à-dire que la société se retrouve en dernier lieu. Notre objectif est de mettre la finance - qui est un outil de développement fantastique - au service de la société en prenant en compte les enjeux environnementaux et sociaux. La finance doit être un outil de développement économique et social.