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"Fausse bonne idée", "vide juridique"... Le "congé menstruel" patine encore 

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Le congé menstruel a été mis sur le devant de la scène politique ces dernières semaines. Ce 26 juin, le département de Gironde a annoncé sa mise en place prochaine pour ses agents. Une avancée louable, mais qui pourrait présenter certaines limites.

"Lever le tabou des règles", "mieux prendre en compte la santé des femmes"... Tel serait le but de ce dispositif désormais généralisé en Espagne et qui commence à faire son chemin en France. Le département de Gironde a voté à l'unanimité le 26 juin dernier la mise en place d'une phase test de "congé menstruel" en cas de règles douloureuses ou symptômes liés à la ménopause. Une première à l'échelle départementale dans le pays : la mesure devrait concerner quelque 67 % des 7000 agents employés par la collectivité. 

Le sujet intéresse particulièrement la sphère politique et l'opinion ces derniers mois. La Gironde, comme la ville de Saint-Ouen, l'a adopté, plusieurs propositions de loi ont été formulées, la ville de Paris dit l'envisager, Elisabeth Borne entend le "faciliter"... Restent encore quelques questions en suspens quant aux contours que doivent prendre ces types de dispositifs, ou encore aux retombées qui pourraient en découler. Une volonté "louable" sur le papier mais qui, pour certains, pourrait s'avérer contre-productive. 

Selon une étude IFOP parue en 2021, près d'une personne menstruée sur deux souffrirait de règles douloureuses. Le but du congé menstruel, "soulager" les concernées avec une "avancée concrète pour le droit des femmes", s'est félicité le maire de Saint-Ouen Karim Bouamrane. Adopté en mars dernier, les salariées de la ville peuvent ainsi poser des jours de congés, télétravailler ou aménager leurs horaires sur présentation d'un certificat médical.

Si l'on regarde dans le détail, on se rend compte du manque de prise en compte de certains freins tels que la discrimination à l'embauche ou encore les inégalités en termes d'évolution de carrière."

Bien que favorable à l'intention, l'association Osez le féminisme ! considère le congé menstruel comme une "fausse bonne idée" : "Si l'on regarde dans le détail, en prenant par exemple le cas de l'Espagne (premier pays européen à le généraliser en février dernier, ndlr), on se rend compte du manque de prise en compte de certains freins tels que la discrimination à l'embauche ou encore les inégalités en termes d'évolution de carrière", analyse Violaine De Filippis, avocate et porte-parole de l'association. 

Alors que, selon le baromètre 2023 du collectif #StOpE, 79 % des femmes considèrent être "régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes dans le monde du travail", "que peut-il se passer dans la tête des employeurs avec une telle mesure, notamment lorsque l'on sait que le congé maternité peut déjà induire une forme de discrimination ?, s'interroge la porte-parole d'Osez le féminisme !. Nous craignons donc qu'il en soit de même avec le congé menstruel". 

"Vide juridique"

Pour l'heure, et malgré les intentions formulées par la Première ministre Elisabeth Borne, un cadre réglementaire à l'échelle nationale manque toujours. Ainsi, des initiatives isolées émergent. À l'image de Saint-Ouen donc, plus récemment de la Gironde, ou encore dans le secteur privé, de l'entreprise Carrefour. Mais là encore, les modalités du dispositif posent questions. "Le congé menstruel mis en place par Carrefour ne concerne que l'endométriose et reste sous conditions, notamment celle de disposer d'une carte d'invalidité. Il faut être attentif à certains 'effets d'annonce' de la part des entreprises", tempère Violaine De Filippis.

Quid du cadre politique ? Du côté de la mairie de Paris, on attend après le gouvernement. Si le congé menstruel semble bien dans les tuyaux de l'exécutif, sa mise à l’œuvre tarde. "La loi du 6 août 2019 prévoit la publication d'un décret concernant les autorisations spéciales d'absence dans la fonction publique et récemment, le gouvernement a annoncé la sortie prochaine de ce décret sans plus de précision, justifie Antoine Guillou, adjoint à la maire de Paris. Anne Hidalgo a écrit à Elisabeth Borne en ce sens, demandant que ce dit décret précise explicitement la possibilité pour les collectivités d'expérimenter le congé menstruel". En effet pour l'heure, un "vide juridique" entoure la pratique. Si la mairie de Paris assure travailler dès lors à une future mise en place, elle reste "complètement dépendante du gouvernement". "Nous avons déjà démarré les discussions avec les organisations syndicales de sorte que si le décret arrive et nous permet d'instaurer le congé menstruel, nous soyons prêts". À Saint-Ouen par exemple, c'est cette faille réglementaire qui a permis la mise à l'œuvre. "C'est un risque que l'on ne peut pas prendre à Paris, estime Antoine Guillou : celui de mettre en place un dispositif de congé menstruel et que celui-ci soit finalement annulé par le décret du gouvernement". 

S'attaquer aux délais de carence en cas d'arrêt maladie

Outre ces freins politiques, comment pallier le piège des éventuelles retombées négatives ? Au risque de discrimination à l'embauche, Paris assure s'y préparer : "Dans la fonction publique, les modalités de recrutements, les concours, assurent une certaine égalité. Cela ne veut pas dire que la discrimination n'existe pas, et nous entendons ces craintes. C'est un sujet de discussion que nous aurons tant avec les organisations syndicales, qu'avec les associations". Pour Antoine Guillou, les risques existent donc bel et bien, mais ne sont pas "une raison valable pour ne pas le faire". "Si l'on raisonne ainsi, on ne fait pas de progrès", tranche-t-il. 

La proposition de loi déposée par les députés socialistes le 10 mai 2023 prévoit notamment "l'aménagement du temps et de l'espace de travail notamment via le télétravail pour les femmes en cas de grossesse, de fausse-couche, de règles douloureuses, de maladies menstruelle et d'effets secondaires de la ménopause". Encore trop faible pour Osez le féminisme ! qui préconise plutôt et plus largement "une réforme de la Sécurité Sociale". "Il faudrait se pencher sur la possibilité de créer un droit pour tous les salariés d'être indemnisés sans délai de carence dès le premier jour d'arrêt maladie. À l'heure actuelle, l'indemnité est allouée à partir du quatrième jour non-travaillé, ce qui pose une vraie question de fond : pourquoi, alors même qu'un médecin considère que l'on n'est pas apte, doit-on subir une perte de salaire ? On pourrait alors imaginer un plafond par an, pour tous, d'un droit à 20 jours d'arrêt sans délai de carence. Une telle mesure permettrait de fait aux personnes souffrant de dysménorrhée d'être indemnisées sur la seule présentation d'un arrêt maladie", envisage Violaine De Filippis.

La question du délai de carence fait précisément l'objet du texte déposé à l'Assemblée plus récemment par les députés NUPES. Portée entre autres par Sandrine Rousseau, Sébastien Peytavie, ou encore Delphine Batho, "cette proposition de loi tente d'initier un mouvement indispensable : déviriliser le monde du travail". "Les auteur.es de ce texte ont opté non pas pour un congé menstruel, mais pour la mise en place d'un arrêt de travail pour menstruations incapacitantes, entièrement pris en charge par la Sécurité Sociale sur le même régime que celui des arrêts maladies classiques, sans délai de carence", écrivent les députés qui tablent ici sur une durée de 13 jours par an maximum.

Le 28 juin dernier, un rapport sénatorial signé par Laurence Cohen (PCF), Annick Jacquemet (UDI), Marie-Pierre Richer (LR) et Laurence Rossignol (PS) a écarté la mise en place d'un congé menstruel sur le modèle espagnol : si celles-ci considèrent que "l'instauration d'un dispositif large pour 'règles douloureuses' ne se justifie pas si une pathologie invalidante n'y est pas associée", elles estiment toutefois que l'endométriose peut être intégrée à la liste des affections de longue durée, permettant aux malades d'être exemptés du délai de carence en cas d'arrêt de travail. 

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