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Entreprises

Environnement, travail forcé : l'UE veut que les grandes entreprises rendent des comptes

Bruxelles a présenté mercredi son projet de législation pour que les entreprises répondent des atteintes à l'environnement et violations des droits dans leur chaîne de production, un "devoir de vigilance" dont ONG et eurodéputés appellent à durcir les modalités.

La proposition de la Commission européenne, qui sera discutée par les eurodéputés et États membres, vise à contraindre les entreprises à corriger les manquements dont elles sont responsables, y compris par leurs sous-traitants à l'étranger.

À l'image d'un texte adopté en France en 2017 et d'autres lois en préparation (Allemagne, Pays-Bas...), sont concernés les violations des droits humains et sociaux (travail des enfants, travail forcé, expropriations abusives, sécurité des bâtiments...) et les dommages environnementaux (déforestation, pollution...). "Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ce qui se passe en aval des chaînes de valeur", souligne le commissaire à la Justice Didier Reynders.

Selon le projet, une entreprise serait tenue d'"identifier les impacts négatifs potentiels sur les droits humains ou l'environnement", dans l'ensemble des échelons de sa chaîne d'approvisionnement, et d'agir "pour les réduire au minimum", notamment par des "garanties contractuelles" avec ses partenaires.

Une mention dans les contrats ne suffira pas à se dédouaner : les entreprises devront adopter des "mesures appropriées pour vérifier le respect des engagements", éventuellement via des auditeurs extérieurs, et prendre des mesures correctives, voire "suspendre" les relations avec des sous-traitants. Elles devront dresser un bilan régulier, au moins annuel, de leurs efforts.

Les États superviseront l'application et pourront infliger des amendes administratives. Les victimes d'infractions, y compris commises à l'étranger, pourront engager des poursuites dans l'UE pour obtenir des dommages-intérêts, si l'entreprise n'a pas fait ce qui était "raisonnablement" possible.

PME épargnées

ONG, syndicats et lanceurs d'alertes seront encouragés à faire remonter les informations. "Il faut s'assurer qu'aucune entreprise ne se cache derrière ses fournisseurs au bout du monde", explique l'eurodéputée néerlandaise Lara Wolters (sociaux-démocrates) qui réclame des sanctions lourdes comme le bannissement des appels d'offres publiques.

Contrairement à une résolution du Parlement européen de mars 2021, portée par Mme Wolters, la Commission propose d'exonérer complètement les petites et moyennes entreprises pour leur éviter un "fardeau". Ce "devoir de vigilance" ne serait imposé qu'aux groupes européens de plus de 500 employés avec des revenus annuels supérieurs à 150 millions d'euros, ainsi qu'aux entreprises non-européennes au chiffre d'affaires de 150 millions dans l'UE.

Après deux ans de transition, des "obligations de vigilance simplifiées" (limitées aux risques majeurs) seraient appliquées aux entreprises comptant plus de 250 employés, si leurs revenus dépassent 40 millions d'euros et proviennent pour moitié de secteurs "à risque" (textile, minerais, agriculture...). Environ 13 000 entreprises européennes et 4 000 de pays tiers seraient concernées.

"L'exclusion des PME signifie que 99 % des entreprises européennes poursuivront leurs activités comme si de rien n'était", s'indigne l'eurodéputée Anna Cavazzini (Verts). "La taille ne change rien : un petit négociant de diamants peut être lié à du travail d'enfants au Congo", renchérit Lara Wolters. "Cela exclut nombre d'entreprises dans l'agro-alimentaire et le textile", secteur à risque comme l'a montré l'effondrement du Rana Plaza en 2013, abonde Richard Gardiner, de l'ONG GlobalWitness.

Rémunérations 

Les Verts s'alarment aussi qu'en justice, "la charge de la preuve reposera toujours sur les victimes" à l'opposé de la résolution du Parlement. "La Commission privilégie une approche d'application plus restreinte" et impose aux plaignants "de démontrer un manquement aux obligations de vigilance et le dommage que le respect de ces obligations aurait permis d'éviter", explique à l'AFP Charles-Henri Boeringer, du cabinet d'avocats d'affaires Clifford Chance. Le texte impose par ailleurs aux grandes entreprises d'adapter leurs stratégies aux objectifs climatiques européens.

L'eurodéputé Pascal Canfin (Renew, libéraux) juge le texte "trop limité et pas assez ambitieux" sur les rémunérations des dirigeants, conditionnées aux performances environnementales dans certains cas seulement. "C'est une occasion historique ratée (...) La proposition est trop faible pour obliger les conseils d'administration à regarder au-delà des gains financiers immédiats", renchérit Marc-Olivier Herman, de l'ONG Oxfam.

À contrario, l'association patronale BusinessEurope prône une approche "volontaire", redoutant que la réglementation n'entraîne "une paralysie des décisions" et "des poursuites judiciaires sans fin". Pour la Commission, le texte ne doit surtout pas inciter les entreprises à quitter certaines régions du globe, où l'Europe se priverait d'un levier pour améliorer la situation.

Avec AFP.