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CHRONIQUE JURIDIQUE

La justice climatique, concept existant ou en devenir ?

En décembre dernier s’est ouverte la conférence Katowice ou "COP 24", en Pologne, ayant pour but de mettre en application l’accord de Paris signé en 2015. En marge de cet évènement, des Organisations Non Gouvernementales se sont mobilisées pour signer une pétition et demander des mesures contraignantes, appelant la création d’une "justice climatique".

Si la justice climatique peut se définir comme un ensemble de normes éthiques et politiques en faveur de l’environnement, il n’existe pas à proprement parler un régime juridique climatique suffisamment contraignant qui soit invocable devant un tribunal. Le ministre de la Transition énergétique, François de Rugy, a d’ailleurs déclaré à ce sujet : "ce n’est pas dans un tribunal qu’on va faire baisser les émissions de gaz à effet de serre".

Pour autant, il existe des normes garantissant le respect de certains principes écologiques qui peuvent servir de base légale à une justice climatique. Ainsi, la Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité en 2004, prévoit en son article I le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux pour la santé. De même, les articles 3 et 5 consacrent les principes de précaution et de prévention et servent à empêcher des actes pouvant porter atteinte à l’environnement. Si ces articles sont relativement généralistes, ils sont directement invocables devant un juge et sont à l’acmé de l’ordre juridique français.

Des objectifs nationaux

Au niveau international, la Convention-Cadre des Nation-Unies sur les changements climatiques de 1992 (CC-NUCC) et le protocole de Kyoto de 1997 soumettent des engagements contraignants pour les entreprises des pays signataires, en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. De même, au niveau continental, l’Union Européenne a adopté le "Paquet Énergie Climat 2020" qui oblige les États à fixer des objectifs nationaux de réduction du gaz à effet de serre. Ces normes, si elles ne sont pas d’application directe, obligent les états à prendre des mesures. De plus, ces textes sont invocables auprès des différents états pour toute personne ayant un intérêt à agir.

On peut constater que ces normes sont de plus en plus invoquées par les justiciables. En effet, une jurisprudence continue d’éclore concernant des dégâts environnementaux. Les juridictions nationales donnent quelques fois raison aux justiciables victimes de catastrophes environnementales. Reconnaissance d’une protection à l’égard de la faune et la flore. Le Tribunal Administratif de Marseille a, par exemple, empêché l’ouverture d’une centrale de biomasse en 2017, du fait que son étude d’impact ne garantissait pas le respect de la nature environnante. Même l’État n’est pas épargné par la justice. La France a ainsi été condamnée par la Cour Administrative d’Appel de Nantes en 2009, dans le cadre du contentieux des algues vertes, pour ne pas avoir assez rapidement retranscrit des directives européennes.

Pas de fonds d'indemnisation des victimes

Il convient dès lors de constater que le justiciable français n’est pas dépourvu de voies d’actions s’agissant des dommages écologiques. Cependant, il convient de noter que les indemnisations données ne concernent que des événements ponctuels. Contrairement à d’autres États, aucun fonds d’indemnisation des victimes du réchauffement climatique n’a été créé en France.

Dans cette optique, on note qu’il existe toujours des carences dans l’application de certains grands principes édictés. Ainsi, la France n’a pas encore instauré d’obligations réellement contraignantes pour les entreprises, institutions financières et collectivités territoriales dans le but de s’inscrire dans la trajectoire de la réduction de l’émission de gaz à effet de serre.

L’État n’est pas le seul acteur impliqué. La justice par certaines décisions, n’est pas systématiquement en faveur de l’environnement. Ainsi, le Conseil d’État, par un avis en date du 1er Septembre 2017, a émis des réserves quant au projet de loi visant à l’interdiction de l’exploration des hydrocarbures d’ici 2040, au nom du droit de la concurrence. Le législateur ou l’État ne sont par conséquent pas les seuls acteurs qui puissent être à blâmer pour une inaction.

La protection de l’environnement et la justice climatique, s’il est indéniable que ce sont des principes reconnus et qui gagnent en reconnaissance tant d’un point de vue législatif que prétorien, ne sont pas encore élevés au rang d’autres droits fondamentaux comme la liberté d’entreprendre, ou la libre concurrence. Cela même si une place importante est donnée dans le bloc de constitutionnalité à l’environnement. Cependant, la montée en puissance d’un tel pan de la justice pourrait venir de l’Europe et de ses Paquet Énergie Climat 2030 et 2050 qui viennent renforcer les objectifs de réduction de pollution. Les normes résultant de ces objectifs devront être appliquées et pourront être invoquées par les justiciables tant devant le juge français qu’européen.

Me Arnaud TOUATI

Avocat Associé - Barreau de Paris et Luxembourg

et Aubry Le Bouar

HASHTAG Avocats