Marche pour le climat à Paris, le 13 octobre 2018.
©Karine Pierre/Hans Lucas
Environnement

Action en justice contre la France : peut-on vraiment contraindre l’Etat à agir pour le climat ?

Quatre associations ont lancé lundi 17 décembre la première étape d’une procédure à l’encontre de l’Etat français pour "inaction face au changement climatique". Le point sur les fondements et les conséquences de cette action inédite.

Les demandeurs parlent de l’"Affaire du siècle". Il s’agit en tout cas de la première action de ce type intentée en France à l’encontre de l’Etat en raison de son "inaction face au changement climatique". La Fondation pour la Nature et pour l’Homme (FNH), Greenpeace France, Notre Affaire à Tous, Oxfam France. Les quatre associations à l’initiative de cette action sont déterminées à faire réagir le gouvernement afin qu’il adopte des mesures concrètes pour maintenir le réchauffement climatique en deçà de 2, voire 1,5°C, comme prévu par l’Accord de Paris. Si le gouvernement n’apporte pas de réponse satisfaisante à la demande préalable faite par les associations le 17 décembre dans les deux mois, les requérants pourront introduire une action en carence fautive devant le Tribunal administratif.

 "On constate aujourd’hui que les engagements pris par l’Etat français ne sont pas respectés" se désole Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace France. N’ayant pas été entendus par les pouvoirs exécutif et législatif, les demandeurs font appel "au pouvoir constitutionnel qui reste : le judiciaire", cela "au nom de l’intérêt général", précise Marie Toussaint, la présidente de Notre Affaire à Tous. Cette nouvelle mobilisation aura-t-elle plus de chances d’aboutir ?

Une action qui n’est pas seulement "symbolique"

Il ne s’agit pas "d’une action symbolique", précisent les ONG. "Notre objectif est de gagner", lance Audrey Pulvar, la présidente de la FNH. Maître Emmanuel Daoud, l’avocat de Notre Affaire à Tous, qui travaille sur le dossier depuis plusieurs mois avec la quinzaine d’autres avocats mandatés par les quatre associations, confirme que l'action a de bonnes chances de succès : "Il y a des obligations juridiques que l’Etat ne respecte pas. On pense qu’on a des chances sérieuses et très raisonnables de gagner." L’action est ainsi fondée, entre autres, sur le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ainsi que sur les principes de prévention et de précaution contenus dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution, sur le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme et sur les autres normes et engagements pris par la France (Protocole de Kyoto, Accord de Paris, Loi pour la Transition énergétique…) qui permettraient "de reconnaître l’existence d’un ‘principe général du droit’ portant obligation de lutte contre le changement climatique". "Le résultat attendu, légitime et normal, c’est que le juge dise à l’Etat : ‘vous avez commis une faute, cette faute, je la définis et s’il y a des préjudices, vous serez condamné à les réparer, pour les associations et pour chacun des citoyens qui se considère lésé.’" précise Maître Daoud.

Outre une réparation de leur préjudice moral et du préjudice écologique subi par l’environnement, les requérants attendent "que l’Etat mette en œuvre des actions très concrètes" explique Audrey Pulvar. Parmi les demandes formulées : la mise en œuvre de toutes les mesures "permettant d’atteindre les objectifs fixés a minima en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du territoire national, de développement des énergies renouvelables, d'augmentation de l’efficacité énergétique et d'adaptation de l’ensemble du territoire national, particulièrement des zones vulnérables, aux changements climatiques", et plus généralement toute mesure "permettant de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels." Pour démontrer les manquements de l’Etat à ces obligations, les requérants s’appuient notamment sur les chiffres de l’IDDRI et de l’Observatoire climat énergie reproduits ci-après.

©Capture DP l'Affaire du siècle

Mobilisation mondiale

"C’est une action qui parcourt le monde" s'enthousiasme Marie Toussaint. De nombreuses affaires sont en cours et trois pays ont déjà été condamnés cette année pour leur inaction face au réchauffement climatique : les Pays-Bas, en octobre, saisis par 886 citoyens néerlandais, le Pakistan, au mois de septembre et la Colombie, en avril.

Peut-on imaginer un seul instant que l’Etat - sur des questions aussi fondamentales que celles de la protection de l’environnement ou de l’accompagnement du changement climatique - pourrait prendre le risque symbolique, sociétal et juridique de ne pas respecter une décision de justice ?"

Si la France est elle aussi condamnée, que se passera-t-il ? Pourra-t-on contraindre le gouvernement à agir ? "Lorsque le juge administratif rend une décision et qu’elle n’est pas exécutée, il y a des moyens d’exécution forcée comme pour tout citoyen qui ne respecterait pas une décision de justice rendue en sa défaveur. L’Etat est un justiciable – en dépit des apparences – comme un autre. S’il est condamné à payer, il devra s’exécuter." affirme Maître Daoud. Parmi les mesures possibles : "saisir l’agent du Trésor public pour faire exécuter les décisions pécuniaires." Toutefois, selon lui, si l’Etat était effectivement condamné, l’exécution serait probablement spontanée. "Peut-on imaginer un seul instant que l’Etat - sur des questions aussi fondamentales que celles de la protection de l’environnement ou de l’accompagnement du changement climatique - pourrait prendre le risque symbolique, sociétal et juridique de ne pas respecter une décision de justice ?" Autre levier à prendre en compte selon lui : "l’adhésion des citoyennes et citoyens qui s’imposera à nos gouvernements d’aujourd’hui et de demain." Pour que cette adhésion s’étoffe et que les citoyens aient la possibilité de soutenir cette action en justice, la FNH, Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France ont mis en ligne une pétition sur le site internet L’affaire du siècle, qui a déjà recueilli, dès le jour de son lancement, plus de 215 000 signatures. Pour Cécile Duflot, la directrice générale d’Oxfam France, "on peut aussi peser par cette mobilisation citoyenne".