©Full Grown
CHRONIQUE CONSO

L’homme qui plantait des chaises

Au lieu de couper les arbres pour fabriquer des meubles, le designer britannique Gavin Munro plante des végétaux qu’il oriente avec des tuteurs pour leur donner la forme de chaises, tables ou lampes. Il est actuellement exposé à la Biennale du Design de Saint-Etienne.  

Planter une graine de chêne, de cerisier ou de sycomore, orienter au fil des mois les branches qui poussent, leur donner la forme d’une chaise (ou éventuellement d’une table, d’une lampe). Au bout de huit ans, récolter le mobilier, l’élaguer, le laisser sécher pendant une année encore, polir le bois pour révéler la matière. Les chaises du britannique Gavin Munro sont des arbres et reflètent leur âme. Elles nous font un cadeau essentiel, au-delà de leur beauté si émouvante. Elles nous permettent de prendre conscience du temps nécessaire à la nature pour produire les ressources utiles à la fabrication de nos objets.  

Commandez maintenant, vous serez livré en 2029

Les recherches de Gavin Munro ont commencé sur un petit terrain du Nord Est de l’Angleterre, en 2006. En 2013, il crée la société Full Grown pour lancer pleinement le projet. En 2014, il récolte une première génération de lampes. L’année suivante arrivent des prototypes de chaises. Le rythme de cette fabrication au rythme des saisons se dessine. Seules 30 pièces seront produites par an - 10 chaises, 15 lampes, 5 tables. Si vous commandez maintenant, vous serez livré en… 2029 !

Ce rapport au temps, les Grecs et les Egyptiens l’ont aussi expérimenté dans l’Antiquité. Ils faisaient pousser des tabourets. Et les Chinois créaient à l’époque des chaises avec des racines orientées sous la terre par des roches. À contre courant de l’époque en accélération permanente, certains ont tenté l’expérience plus récemment. En 1904, l’Américain John Krubsack a planté une chaise qui a poussé pendant 11 ans. Et depuis les années 1970, le britannique Chris Cattle cultive des trépieds sur lesquels ils fixe une assise.

"Intervenir le plus subtilement possible dans la nature"

Aujourd’hui, Gavin Munro veut attirer notre attention sur le processus classique de fabrication de pièces en bois. On fait pousser des arbres pendant une cinquantaine d’années, on les coupe en petites pièces qu’on assemble. À chacune des étapes, le bois est déplacé, de la forêt à la scierie, à l’atelier, ce qui nécessite du carburant. Il faut construire des routes jusqu’au cœur des forêts pour que les camions pleins de troncs d’arbre circulent. On fait souvent sécher le bois dans de grands fours énergivores…

Notre but est de créer une connexion luxueuse à la nature, de créer une forêt qui produit des chaises." - Gavin Munro

Le designer invente une démarche à rebours de tout cela. "Nous essayons d’intervenir le plus subtilement possible dans la nature, explique-t-il. Notre but est de créer une connexion luxueuse à la nature, de créer une forêt qui produit des chaises." Full Grown est pour l’instant un rêve à la portée de quelques uns seulement. D’autant que pour s’offrir une chaise, il faut entre 10 000 et 15 000 livres sterling (entre 11 600 et 17 500 euros). À défaut de disposer d’un tel budget, on peut admirer une chaise fraichement récoltée à la Biennale Internationale du Design de Saint-Etienne (dans l’exposition Systems not Stuff, La Bio-usine, du 21 mars au 22 avril).

Considérer la valeur des objets

On peut aussi poser un œil nouveau sur les objets qui nous entourent, contempler à travers eux l’œuvre de la nature, les années, les siècles qui se sont écoulés avant d’obtenir toutes ces matières. Regardez, par exemple, ces pots en plastique, là dans vos placards. Imaginez les millions d’années pendant lesquelles des volumes himalayens de microorganismes se sont mués en pétrole. Quelle valeur accordez-vous à cette boîte en plastique maintenant ?