"La passion demeure mais moi je pars (...) Alors que beaucoup croient en la possibilité d'éviter le naufrage par des ajustements superficiels, les faits scientifiques réclament des changements drastiques dans nos modes de vie. Ainsi, je ne souhaite plus être partie prenante d'une industrie contribuant de manière significative au problème."
Ce sont avec ces quelques mots, publiés dans un post sur LinkedIn en mai dernier, que le pilote de ligne Yann Woodcock expliquait son choix de quitter le monde de l’aéronautique, après 13 ans d’activité au sein de la compagnie Swiss International Airline. Aujourd'hui en reconversion professionnelle pour devenir avocat, il détaille à ID les raisons qui l’ont poussé à démissionner ainsi que sa vision de l’aviation de demain. Entretien.
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Comment avez-vous pris la décision de démissionner ?
Cela s’est fait progressivement. J'ai lu plusieurs choses qui m’ont fait prendre conscience de l’urgence climatique, notamment depuis 2017. Cette année-là, j’ai également débuté un bachelor en droit par plaisir. Cela m’a permis de me renseigner davantage sur cette question-là.
Aviez-vous une conscience écologique avant cela ?
Je dirais que j’avais plutôt la culture des petits gestes. En Suisse, on aime bien se rassurer en se disant que l’on roule en Tesla, que l’on trie son PET ou son verre, et que l’on fait des balades en forêt le week-end. Mais c'est seulement quand je me suis plongé dans la littérature scientifique que j'ai réellement pris la mesure des enjeux et des changements à opérer.
Ces sujets sont-ils aujourd’hui abordés dans votre milieu professionnel ?
Du côté des compagnies aériennes, les enjeux environnementaux sont traités mais davantage sous l’angle du technosolutionnisme. En interne, on nous parle aussi de plus en plus d’économies de carburant. En tant que pilote de ligne, j’étais notamment encouragé à réduire le kérosène "surperflu", c’est-à-dire la quantité que l'on emporte lors des vols.
Comment l’annonce de votre démission a-t-elle été accueillie ?
Plutôt bien. C’est quelque chose dont je parlais régulièrement avec mes collègues, surtout ces dernières années. J’ai même été surpris de constater que certains, avec qui je n’étais pas forcément sur la même longueur d’ondes, ont salué mon choix et même admis qu'il était sage et cohérent.
Avez-vous l’impression qu’une prise de conscience émerge au sein de votre profession ?
Il y en a clairement une. Suite à ma prise de parole sur les réseaux sociaux, et la médiatisation qui a suivie, beaucoup de personnes m’ont contacté pour me dire qu’elles avaient aussi fait ce pas sans en parler publiquement. J'ai découvert des associations d’employés du monde de l’aviation qui militaient pour une décroissance du secteur. J'ai appris qu’il y avait tout un mouvement qui était plus ou moins en place. Après je n’appelle pas tout le monde à démissionner. Mais de mon côté, c’est le choix que j’ai fait.
Quel regard posez-vous aujourd’hui sur l’avenir de l’aviation ?
Je pense que les évolutions technologiques sont essentielles mais loin d’être suffisantes pour diminuer les émissions de CO2 des avions. Comme je l’expliquais récemment dans une publication sur LinkedIn, en 30 ans, les progrès technologiques ont permis de diviser par deux la consommation énergétique par passager/kilomètre. Cependant, dans le même temps, le trafic aérien a été multiplié par presque cinq. Résultat, les émissions totales ont plus que doublé. Ce phénomène est connu sous le nom de l’effet rebond et n’est pas près de s’arrêter. La réduction drastique du nombre de vols doit donc aller de pair avec les solutions technologiques.
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