Le cliquetis des doigts sur les claviers résonne à peine dans ce vaste espace. Et une douce lumière hivernale perce à travers les immenses baies vitrées de ce lieu autrefois dévolu à la maintenance de machines à tisser. La salle, équipée de wifi, d'un écran géant et d'un vidéoprojecteur, et meublée de sofas, fauteuils et tables chinés ça et là, dégage un air bohème.
Installés sur un canapé encadré de plantes vertes, masques sur le visage, Tobias Joubert et Maeva Michel, étudiants en 3e année de science politique, suivent un cours en ligne. "Le distanciel a coupé le lien social, il n'y a plus de contact, on est tous devant nos PC... On en a tous marre", résume Tobias, 21 ans. Depuis des mois, les étudiants travaillent à domicile en raison de l'épidémie de Covid-19, qui a contraint les universités à cesser les cours en présentiel.
Certes, sur leur campus de la Fonderie, la bibliothèque universitaire reste accessible sur réservation. Depuis peu, ils peuvent aussi retrouver un jour par semaine les bancs de la fac. Mais le ras-le-bol persiste, et "ça devient compliqué" pour beaucoup, renchérit Maeva, 20 ans.
"Aucun risque"
Ce vendredi, ils ont décidé de pousser la lourde porte de Motoco, une résidence d'artiste installée dans un bâtiment de 10.000 m2, au coeur d'une friche industrielle en réhabilitation. Cette résidence, l'une des plus importantes de France avec 140 artistes et artisans, accueille depuis lundi étudiants et télétravailleurs, à raison de six par jour : pas question de prendre le "moindre risque" sanitaire, explique Martine Zussy, la directrice des lieux. Le masque est obligatoire, le gel hydroalcoolique placé en évidence, les larges espaces favorisent la distanciation physique.
Le principe est simple : il suffit de s'inscrire sur un Doodle pour être accueillis du lundi au samedi, de 10H00 à 17H00. Motoco a fait circuler l'information sur les réseaux sociaux et l'offre a rapidement trouvé preneurs. Le lieu, qui dispense gratuitement café, thé, jus, plateaux repas..., restera actif pendant les vacances qui ont débuté vendredi soir, et au-delà.
"On aimerait même accueillir plus de personnes", notamment dans l'autre salle du rez-de-chaussée, deux fois plus grande, glisse Mme Zussy, qui dit avoir pris contact avec la préfecture du Haut-Rhin afin d'obtenir les autorisations nécessaires. L'idée d'ouvrir les portes de Motoco lui est venue en regardant un reportage "sur des étudiants seuls chez eux" et en manque cruel d'espace et de contact social.
"Nous sommes considérés comme un établissement recevant du public de type L" (salles à usage de conférences, de réunions, de spectacles, NDLR) et, à ce titre, "nous sommes fermés administrativement depuis un an", explique Mme Zussy. "Mais nos espaces", qui abritaient régulièrement des soirées ou des événements, "peuvent être rouverts pour des actes de solidarité vers des publics fragiles", comme le sont de très nombreux étudiants, plaide-t-elle.
Etudiante en troisième et dernière année à l'école supérieure de praxis sociale de Mulhouse, Julie Graff, 26 ans, vient elle aussi pour la première fois. Les cours par écran interposé, elle aussi connait ça, même si son cursus lui propose des stages "100% présentiels".
"Dépression"
"Ici, c'est quand même mieux qu'à l'école où ils ont arrêté la machine à café", sourit la jeune femme, qui met la dernière main sur son portable à une "analyse de cas". Elle aussi témoigne du mal-être qu'elle constate tout autour d'elle, avec des étudiants "abattus" et "en dépression".
"Ouvrir, c'est zéro effort pour nous", à part les frais de chauffage, importants en cette période de disette. Motoco, qui se finance essentiellement avec les événements organisés par ses résidents, est "à -80% de chiffre d'affaires" depuis un an, confie Martine Zussy. "Mais on a ce qui leur manque et on ne s'en sert pas : ce n'est même pas un acte solidaire, c'est juste du bon sens".
Avec AFP.
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