Les ouvriers fabriquant des PFAS s'inquiètent pour leur santé, mais aussi pour la pérennité de leur emploi.
©cottonbro studio/Pexels
Santé

"Polluants éternels" : dans l'industrie, la crainte d'une double peine des ouvriers

La peur de perdre son travail, puis sa santé. Cinquante ans après l'amiante, un nouveau scandale sanitaire se profile dans les usines : l'exposition des ouvriers aux produits chimiques PFAS, "polluants éternels".

Les craintes enflent autour des conséquences pour la santé de ces substances "per- et polyfluoroalkylées" créées et fabriquées par l'industrie chimique, quasi indestructibles et présentes dans de nombreux produits de grande consommation. Avec le temps, elles s'accumulent dans l'air, le sol, l'eau, la nourriture et, in fine, dans le corps humain, notamment le sang, les reins ou le foie.

"L'inquiétude est très présente" parmi les ouvriers des usines qui produisent ou ont recours à ces substances, plus exposés que la moyenne, selon Damien Olry, délégué syndical CGT de Solvay pour la France.

"On se demande ce qu'il en sera plus tard", s'inquiète auprès de l'AFP Cédric Cozo, délégué syndical CGT de l'usine Solvay de Salindres, qui a cessé son activité le 28 mars après avoir produit de l'acide trifluoroacétique (TFA).

Parmi les "anciens" qui ont fait leur carrière à l'usine, "il y en a qui ont été malades", indique-t-il, sans pouvoir faire le lien avec certitude : "c'est l'inconvénient des PFAS en général (...), il attaque plusieurs choses, mais ce n'est pas précis comme l'amiante".

Un rapport d'expertise commandité par le CSE de l'usine a souligné "un contact trop fréquent" des ouvriers "avec les substances" produites, notamment le TFA, à l'heure actuelle pas réglementé, et dont le risque sanitaire est en cours d'évaluation par l'Anses.

Lors de la divulgation de ce rapport, la direction du groupe belge a assuré mettre "la sécurité et la santé de ses collaborateurs au cœur de ses priorités".

La fédération France Chimie assure que "la santé et la sécurité des salariés" du secteur "sont une priorité non négociable".

Préjudice d'anxiété

L'avocat des salariés, Ralph Blindauer, qui entend contester le caractère économique des licenciements, a indiqué son intention de faire reconnaître parallèlement le préjudice d'anxiété des salariés, devant les prud'hommes.

"Je pense qu'on n'aura pas le même débat que sur l'amiante", a déclaré Me Blindauer, estimant que "le caractère cancérogène, mutagène (...) de ces polluants éternels est reconnu aujourd'hui".

"On n'a pas encore suffisamment d'éléments pour étudier l'ensemble des PFAS", nuance Xavier Coumoul, professeur de toxicologie à l'université Paris-Cité. L'inquiétude des ouvriers exposés est "légitime", ajoute-t-il, compte tenu d'études qui "commencent" à relever "des effets, pour certains, cancéreux, pour certains métaboliques".

Un rapport de l'ONG Générations Futures de février 2024 répertoriait cinq usines produisant des PFAS en France : Arkema et Daikin à Pierre-Bénite au sud de Lyon, Chemours à Villers-Saint-Paul (Oise) et Solvay à Tavaux (Jura) et Salindres (Gard).

Après Solvay à Salindres, le groupe américain Chemours, qui fabriquait des PFAS pour produire des mousses anti-incendie, a annoncé récemment la fermeture de son usine dans l'Oise en raison, selon la direction, de "la baisse des commandes", conséquence du durcissement de la législation.

En France, une loi restreignant la fabrication et la vente de produits contenant ces molécules a été votée en février.

L'étendue du problème mal connue

Au sein de SEB, qui n'est pas fabricant de PFAS, mais utilise du PTFE dans ses poêles anti-adhésives, les salariés sont avant tout "inquiets pour leur emploi", même si les ustensiles de cuisine ont échappé à la loi, assure Mickaël Feuvre, coordinateur CFDT.

"A un moment donné, on va se retrouver dans la situation où les PFAS seront interdits, et on sera face à une industrie en France qui n'aura pas su s'adapter et qui va ne plus pouvoir produire", craint Jean-Louis Peyren, de la CGT-Chimie.

Sa fédération a interpellé en février le Premier ministre, demandant une "protection immédiate des salariés exposés aux PFAS", sollicitation restée lettre morte à ce jour, selon le syndicat.

Ce silence s'explique peut-être en partie par le "peu de données" disponibles permettant d'estimer les expositions des salariés, comme le déplore l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

Cet institut, financé par une dotation de l'Assurance-maladie, pourrait apporter prochainement un début de réponse : il a lancé fin 2024 une grande enquête, qui doit livrer ses résultats d'ici fin 2025, pour mieux connaître "la population salariée potentiellement exposée à ces PFAS" et établir "s'il y a des moyens de prévention déjà mis en œuvre", a déclaré l'INRS à l'AFP. France Chimie assure avoir "vivement encouragé ses adhérents" à prendre part à cette enquête.

Avec AFP