Les syndicats agricoles européens opposés au projet d'accord UE-Mercosur redoutent la déstabilisation de certaines filières déjà fragiles.
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Politique

L'accord UE-Mercosur, point de fixation des syndicats agricoles

Voitures et machines contre produits agricoles : le projet d'accord entre l'UE et quatre pays du Mercosur vise à faciliter les échanges commerciaux entre les deux blocs, au grand dam des syndicats agricoles européens qui redoutent la déstabilisation de certaines filières déjà fragiles.

Ces opposants, en particulier en France, première puissance agricole du continent, dénoncent un projet initié il y a 26 ans, jugé aujourd'hui inadapté. En face, la Commission européenne appelle à "diversifier les sources d'exportation", explique un haut fonctionnaire, le marché américain n'étant plus "le plus sûr au monde".

Sucre, poulet, vin...

Le texte, que la Commission souhaiterait voir signé par les Etats d'ici fin décembre, réduit les droits de douane européens pour certains produits latino-américains : viande bovine, porc, volaille, miel, sucre, riz...

Ces droits réduits concernent un volume limité : 99 000 tonnes maximum pour la viande bovine, soit 1,6 % de la production de l'UE, 180 000 tonnes de volaille (1,4 %), 190 000 tonnes de sucre (1,2 %)... Au-delà, les droits de douane redeviendront "quasiment prohibitifs", dit Bruxelles.

Inversement, le pacte doit ouvrir le marché sud-américain à des produits européens aujourd'hui très taxés : alcools, chocolats, malt, huile d'olive, lait en poudre ou fromages.

En France, la Champagne, en difficulté, a exprimé son intérêt, comme la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (actuellement taxés de 20 à 35 %). L'accord doit aussi protéger les appellations, bannir par exemple les éventuels "champagnes" latino-américains.

Prix et normes en question

Les secteurs affectés redoutent une concurrence "déloyale" du fait de normes sociales et environnementales différentes, à même de faire plonger les prix pour des filières déjà en difficulté.

Les producteurs de bœuf craignent de voir les 99 000 tonnes à droits réduits se concentrer sur l'aloyau (morceaux "nobles"), ce qui représenterait alors un quart de la production européenne.

Le Mercosur fournit déjà le gros des importations d'aloyaux et ce, à des coûts inférieurs de 18 % à 32 %, selon l'Institut de l'élevage.

Pour tenter de rassurer la France, la Commission a proposé début septembre des clauses de sauvegarde "renforcées", en cas de brusque hausse des importations ou baisse des prix, avec un "suivi renforcé" des "produits sensibles".

S'il existe "un préjudice sérieux ou un risque, l'Union, à la suite d'une enquête, peut décider" de limiter ces importations, explique un haut fonctionnaire. Mais cette clause unilatérale inquiète les agriculteurs.

"Nous l'avons expliquée aux pays du Mercosur, qui comprennent que c'est nécessaire pour avancer dans le débat politique" en Europe, assure-t-on à Bruxelles.

Contrôles sanitaires

À Bruxelles, on souligne que "tout produit du Mercosur doit respecter les normes strictes de l'UE en matière de sécurité alimentaire" mais les syndicats agricoles dénoncent un manque de contrôles.

"En théorie, la viande traitée par exemple aux hormones de croissance ne peut entrer mais, en pratique, la traçabilité est imparfaite", explique l'économiste Stefan Ambec, co-auteur d'un rapport remis au gouvernement.

"Il y a des audits d'abattoirs organisés avec la Commission, mais on ne suit pas facilement le bétail avant cette étape", à part en Uruguay, ajoute-t-il.

Fin 2024, un audit de l'UE a révélé des failles dans les contrôles de la viande bovine au Brésil et notamment "la fiabilité des déclarations sous serment des opérateurs" sur les hormones interdites en Europe.

La Commission assure "continuer à travailler (...) sur les contrôles sanitaires et phytosanitaires", mais avec cet accord "il n'y a pas de risque accru sur la qualité des produits", selon le haut fonctionnaire, qui ajoute que seuls des établissements du Mercosur autorisés peuvent exporter de la viande vers l'UE.

Que va faire la France ?

Après avoir essayé de trouver une minorité de blocage au sein de l'UE, la France a marqué le pas dans ses efforts diplomatiques après qu'Emmanuel Macron a affirmé début juin qu'il était prêt à signer d'ici fin 2025 sous condition.

La ministre de l'Agriculture Annie Genevard a elle répété son opposition à l'accord malgré la présentation des clauses de sauvegarde en septembre.

Mais face à l'instabilité gouvernementale française ces derniers mois, les syndicats veulent entendre cette opposition de la part du président, que certains accusent d'un "double discours" visant à "faire croire" que la France était contre l'accord pour éviter de grandes mobilisations qui pourraient finir par arriver s'il aboutissait.

Avec AFP.