En 1944, l’économiste William Beveridge a mis en évidence une relation inverse entre le taux d’emplois vacants (offres d’emplois non pourvus rapportées à la force de travail) et le taux de chômage. Intuitivement, on comprend que les entreprises souhaitent recruter davantage lorsque l’économie se porte bien, voire réaccélère, situation ellemême caractérisée par un faible taux de chômage. Inversement, le taux de chômage augmente en période de récession et dans ces conditions, les entreprises se montrent moins enclines à recruter.
Aux Etats-Unis, cette relation se vérifie empiriquement sur près de 100 ans. Seulement, depuis 2020, le lien entre ces deux variables semble « cassé ». L’économie de l’après pandémie s’est traduite par des pénuries massives. Une pénurie de matériaux et de matières premières, de biens, mais aussi de travailleurs. Le taux d’emplois vacants n’a rarement été si élevé qu’en 2022, illustrant de fait la profonde tension entre offre et demande de travail. Pour retrouver de tels niveaux, il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée ou encore celle du Vietnam. En 2023, les entreprises ont préféré réduire la voilure sur les embauches plutôt que de licencier du personnel. Ainsi, le taux d’emploi vacants a sensiblement diminué, sans que cela n’engendre de forte hausse du chômage.
Il y a donc de cela plusieurs mois, notre thèse était d’indiquer que cette anomalie ne serait que temporaire, à mesure que le marché de l’emploi se rééquilibre. Il apparaît désormais qu’un continuum d’indicateurs corrobore cette idée. Citons notamment la tendance à la baisse des offres d’emplois à pourvoir, celle des créations d’emplois dans le secteur privé, le retour à la normale des taux d’embauches/ démissions et bien sûr la (légère) hausse du taux de chômage. Par ailleurs, les chiffres de l’emploi résultent d’enquêtes soumises aux ménages et aux entreprises. Si les sondés étaient entre 60 et 70 % à y répondre avant la pandémie, ils ne sont désormais plus que ~30 % à 40 %. Ce problème de fiabilité rend la lecture des données encore plus délicate.
Les implications sont multiples. Maintenant que les entreprises ont réduit cet « excès de demande de travailleurs », le risque est qu’une dégradation inopinée de l’emploi ne survienne (i.e. que la baisse des offres à pourvoir s’accompagne d’une hausse du chômage), du fait de l’impact des hausses de taux passées et des conditions monétaires restrictives. Pour la Banque centrale américaine, la balance des risques liée à son double mandat (emploi maximum inclusif et inflation à 2 % en moyenne) est donc légèrement déséquilibrée. C’est pourquoi, nous prévoyons toujours un ajustement de politique monétaire à venir cet été. Les propos tenus par Jerome Powell la semaine dernière, jugeant que le marché de l’emploi s’était sensiblement refroidi, viennent renforcer notre positionnement.
Cette recalibration aurait aussi pour but d’accompagner la baisse de l’inflation. A cet égard, le rapport CPI**, publié jeudi dernier pour le mois de juin, est encourageant. Dans le détail, la désinflation s’est montrée particulièrement diffuse. En particulier, la composante loyers dont le rythme de progression mensuel a diminué de moitié. La catégorie des biens durables continue de contribuer négativement à l’inflation, ce qui n’est pas sans poser question sur la dynamique de l’économie américaine (baisse de prix pour cause de déstockage et/ou de faiblesse de la demande).
La Fed se réunira le 31 juillet prochain, peu de temps après la BCE et avant le Symposium de Jackson Hole – événement réunissant banquiers centraux et universi-taires du monde entier – dont le thème cette année tournera autour de la trans-mission de la politique monétaire… Gageons que d’ici là, l’emploi ne « craquera » pas…
Contenu rédigé par Florent Wabont, Économiste