En septembre, l’inflation totale américaine (mesurée par le CPI*) est passée de 2,5 % sur un an en août à 2,4 % en septembre ; l’inflation cœur (hors énergie et alimentation) de 3,2% à 3,3%. Les pressions inflationnistes que l’on pourrait qualifier de « domestiques » semblent donc persister sur des niveaux élevés, mais comme souvent, le diable se cache dans les détails. Sur la période, l’inflation alimentaire est certes repartie à la hausse, mais il convient de noter que la composante « loyers » contribue toujours à la grande majorité de la variation des indices de prix. Dès lors, doit-on craindre l’évolution de l’inflation américaine, notamment s’agissant du comportement de la Fed ?
L’indice « Sticky core CPI » développé par la Fed d’Atlanta, qui pourrait se traduire par « inflation cœur des composantes persistantes », peut nous éclairer. L’idée sous jacente est simple. Parmi les biens et services composant l’indice de prix, certains items voient leurs prix changer peu fréquemment et ne réagissent pas immédiatement aux soubresauts à court terme de l’activité économique. A cet égard, l’évolution des prix de ces catégories incorpore un signal quant aux anticipations à moyen terme des entreprises fixant ces prix. Ainsi, au cours des trois derniers mois, cet indicateur ressort à 3,58% en rythme annualisé, contre une moyenne historique d’un peu plus de 2%. Toutefois, l’essentiel de cette inertie pro vient de la partie immobilière. On le sait, la méthodologie associée à comptabilisation de cette catégorie au sein du CPI est particulière, notamment en raison de sa lenteur à pouvoir intégrer la baisse des loyers ré cents. Hors immobilier, l’inflation cœur des composantes persistantes s’établit à 2,33 %, en ligne avec sa moyenne historique et bien loin du pic de 5 % en mai dernier. Il convient toutefois de noter qu’elle est en progression par rapport aux mois précédents.
Le choc de demande (réouverture des économies, soutien budgétaire aux ménages et aux entreprises…) est encore perceptible et l’économie américaine continue de croître au-delà de son potentiel.
Dès lors, les entreprises disposent a priori d’une capacité de fixation des prix et pourraient être tentées de les augmenter en face d’un consommateur captif. Trois éléments semblent toutefois limiter ce phénomène selon nous.
Premièrement, car le choc d’offre (hausse des cours des matières premières, tensions logistiques…) est derrière nous. Deuxièmement, la dynamique de la consommation commence à s’essouffler, sans s’effondrer pour autant, dans le prolongement de la moindre vigueur du marché de l’emploi. Enfin, la productivité du travail a augmenté, permettant aux entreprises de ne pas avoir à modifier drastiquement leurs prix. De ce point de vue, la situation ressemble à s’y méprendre à celle des années 95-2000, marquée par un atterrissage en douceur de l’économie américaine et un accroissement de la productivité. L’inflation devrait progressivement atterrir autour de la cible de 2%**, mais contrairement à la période pré-covid, nous n’anticipons pas qu’elle repasse durablement en dessous.
Pour la Fed, ces éléments militent pour une poursuite de son ajustement de politique monétaire initié en septembre, dont l’objectif est de réduire le degré de restriction monétaire sur l’économie. Le rythme de cet ajustement n’a toutefois pas nécessairement besoin d’être linéaire. De la même manière, l’ampleur des baisses pourrait être limitée, à l’image des années 90. Nous pensons ainsi que le taux directeur terminal de ce cycle s’approchera plutôt de 4% que de 3%.
Concernant les marchés financiers, les taux longs américains n’ont, selon nous, pas vocation à se détendre énormément, mais la classe d’actifs offre du rendement. En outre, en cas de « coup dur » sur l’économie américaine, son aspect protecteur pourrait se matérialiser, les craintes sur la croissance dominant celles sur l’inflation. S’agissant des actions, s’il n’y a pas de récession et que la productivité continue de progresser, les bénéfices des entreprises pourraient pour suivre leur ascension. Le marché des actions américaines se paie toutefois très cher d’un point de vue historique, mais cela n’est pas le cas de toute la cote. La rotation sectorielle qui découle de la baisse des taux directeurs incite par ailleurs à privilégier les segments hors « 7 magnifiques »***.
L’incertitude des élections américaines pèse néanmoins fortement sur ces scenarii, mais la date fatidique approche à grands pas…
* : CPI = Consumer Price Index / Indice des prix à la consommation. Il s’agit d’une des manières de mesurer l’inflation aux Etats-Unis. Cet indice ne constitue pas la cible de la Fed. ** : la cible des 2% d’inflation moyenne est basée sur l’indice PCE (Per sonal Consumption Expenditures), qui correspond au déflateur du PIB. *** : les « 7 magnifiques » sont Nvidia, Meta, Tesla, Amazon, Alphabet, Microsoft et Apple. Ces entreprises représentent environ 30% de la capitalisation boursière du S&P 500.
Contenu rédigé par Florent Wabont, Économiste, ECOFI.