La rumeur autour de la possibilité d’une baisse de 0,50 % s’était répandue par le biais du Wall Street Journal et du Financial Times. Les marchés avaient alors embrassé cette idée, tandis que ni nous, ni le consensus des économistes n’étions emballés. La Fed a finalement décidé de frapper fort en abaissant son taux directeur de 0,50 %, le portant ainsi dans une fourchette comprise entre 4,75 % et 5 %. Jerome Powell a toutefois tenu à indiquer qu’il ne s’agit pas là d’un rythme voué à devenir la norme. Notons également que cette décision n’a pas été approuvée à l’unanimité, une première depuis 2005. Michelle Bowman (Fed du Kansas) a en effet voté contre, en exprimant sa préférence pour une baisse plus conventionnelle de 0,25 %. La Fed a par ailleurs actualisé ses projections économiques trimestrielles. L’inflation a été révisée à la baisse pour l’année en cours et celle d’après. La croissance du PIB est restée stable. Le principal changement provient des prévisions du taux de chômage, qui voit son niveau augmenter de 0,4 % en 2024 en comparaison des prévisions de juin (de 4 % à 4,4 %), et de 0,2 % en 2025 (de 4,2 % à 4,4 %) et 2026 (de 4,1 % à 4,3 %). La médiane des dots – prévisions anonymes du niveau des taux directeurs par chacun des membres de la Fed – suggère désormais deux baisses supplémentaires en 2024 (contre une seule en juin dernier) et quatre de plus en 2025 ainsi qu’en 2026.
Les avis exprimés sont assez dispersés, soulignant ainsi le manque de consensus quant à la trajectoire future des taux directeurs. Le niveau envisagé à long terme a également été réévalué à la hausse.
La Fed a bien décidé d’ajuster sa politique monétaire, afin de suivre la baisse de l’inflation et répondre à la moindre vigueur du marché de l’emploi, comme nous l’avions anticipé il y a plusieurs mois. Elle l’a toutefois fait de façon déterminée (0,50 % vs 0,25 %), mais là n’est pas le plus important. Nous pensons que la Fed n’ira ni aussi vite, ni aussi loin que ce que laissent entrevoir les anticipations de marché.
La tension sur le marché du travail s’est normalisée, les créations de postes dans le secteur privé ont sensiblement ralenti et le consommateur américain est plus précautionneux dans ses dépenses.
Les licenciements progressent, mais n’augmentent pas de façon critique, tandis que la dynamique des entrants et sortants sur le marché de l’emploi, demeure relativement fluide. Aussi, les premières estimations pour la croissance du PIB au 3ème trimestre pointent vers une économie proche de son potentiel, voire un peu au-delà. Enfin, il convient de noter que la productivité du travail progresse, à la faveur de la digitalisation, des contraintes que subissent les entreprises depuis la pandémie (pénurie de main d’œuvre et forte demande) et des investissements déployés dans le cadre de l’IRA et du CHIIPS ACT. La baisse de taux effectuée et celles à venir répondent donc davantage à une logique « assurantielle », pour garantir cet équilibre et éviter le retournement du cycle. Dans les trimestres à venir, les difficultés éprouvées par les petites entreprises pourraient s’atténuer, dans le sillage de la détente des conditions d’octroi de crédit. Le secteur immobilier et les intentions d’investissement des entreprises pourraient également en profiter. Dès lors, si l’économie américaine n’entre pas en récession (notre scénario central), quelle justification donner aux anticipations des marchés, qui tablent sur ~2 % de baisses supplémentaires d’ici mi 2025 ?
En outre, les enquêtes conjoncturelles sont probablement « polluées » par l’incertitude liée aux élections présidentielles. Il est, en effet, possible d’envisager que les entreprises attendent le résultat de celles-ci avant d’entériner certaines décisions. Aussi, en cas de victoire de D. Trump, il n’est pas non plus improbable de voir une répétition de la guerre commerciale de 2018, dont les conséquences seraient de nature à perturber la trajectoire de l’assouplissement monétaire.
Enfin, mentionnons également l’incertitude entourant l’estimation du taux neutre*, question que nous traiterons plus en détail dans notre mensuel d'octobre…
*Le taux d’intérêt neutre (r*) est celui qui équilibre les forces économiques. L’offre et la demande. L’épargne et l’investissement. C’est aussi celui qui n’entraîne ni surchauffe, ni refroidissement du couple croissance/inflation. Un taux directeur (r) supérieur à r* induit une politique monétaire dite restrictive, dont l’objectif est de ralentir l’économie et l’inflation. Inversement lorsque r < r*
Contenu rédigé par Florent Wabont, Économiste - ECOFI