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Sac Birkin ou Apple Vision Pro ?

Le modèle Birkin est l’un des sacs à main les plus emblématiques de la maison Hermès, tandis que l’Apple Vision Pro est le nouveau produit de la firme qui porte le même nom. C’est avec ce titre volontairement caricatural et un brin provocateur que nous avons décidé de nous attarder cette semaine sur les différences de performances et de valorisations entre les marchés boursiers américains et européens.

Avec une progression de 18,8 % en 2023, les actions de la zone Euro (MSCI EMU) n’ont que très légèrement sous-performé les actions américaines (S&P 500), qui ont terminé l’année à +22,3 % en euros. La manifestation chronique de ce phénomène est en revanche plus impressionnante. De fin 1999 à fin janvier 2024, le différentiel de performance cumulé à la faveur des actions américaines s’élève ainsi à 283 %. Seulement, si l’on décompose cette période, l’état des lieux diffère sensiblement. De fin 1999 à fin 2009, les actions de la zone Euro ont en effet enregistré une surperformance de 18 %. De fin 2009 à janvier 2024, la situation s’est ensuite totalement renversée, avec une très nette surperformance (512 % !) des actions américaines.

Comment expliquer une telle divergence ?

Les facteurs explicatifs peuvent se ranger en deux catégories. Tout d'abord, ceux d’ordre macroéconomique. Depuis la crise financière de 2008, le PIB des Etats-Unis a crû davantage que celui de la zone Euro, dans un contexte également marqué par une plus grande productivité. En outre, la crise de la dette en zone Euro a profondément entaillé l’activité du vieux continent. Aussi, la période des taux bas, voire négatifs, a favorisé certains secteurs, ce qui nous amène aux facteurs d’ordre financier. Les indices boursiers américains ont notamment pu profiter de leur surpondération sur le secteur de la technologie. Il est même parfois coutume d’opposer la «nouvelle économie » à la « vieille économie », ou même par raccourci d’indiquer que les Etats-Unis ont leurs champions de la technologie (cf. les « 7 magnifiques ») et la zone Euro ceux du luxe. Mais les marchés européens sont aussi de façon plus éparse orientés sur les financières, la santé et l’industrie. Plus globalement encore, les actions américaines sont plus typées croissance (espoir d’une forte croissance des bénéfices à long terme) et celles de la zone Euro plutôt teintées value (entreprises dites sous-évaluées, dont la croissance des bénéfices est plutôt attendue à court terme). A ce titre, il convient de noter que la décennie 2010- 2020 a été particulièrement favorable aux entreprises de type croissance.

Cette situation est-elle susceptible de se prolonger ?

Si les actions européennes sont chroniquement sous-évaluées par rapport aux actions américaines, la décote actuelle de ~40 % – mesurée par le ratio cours/bénéfices anticipés à 12 mois – n’a jamais été si élevée en comparaison de sa moyenne de ~ 20/25 % sur les 25 dernières années. Si l’on croit à une forme de retour à la moyenne, il se pourrait donc qu’à court/ moyen terme, les actions de la zone Euro puissent amorcer un rattrapage, d’autant que la situation économique est probablement en passe d’atteindre son point bas dans les prochains mois. Tout dépendra ensuite de la conjoncture outre-Atlantique durant l’année.

A plus long terme, des facteurs structurels semblent par ailleurs militer pour un rééquilibrage.

Nous avons, depuis 2022, régulièrement évoqué la période de plus grande volatilité macroéconomique dans laquelle nous sommes entrés. Ce sujet anime plusieurs autres économistes, qui l’associent à des termes comme « supercycle » ou «décennie turbulente ». De notre côté, nous plaidons pour l’emploi du terme de « Grande transition» ; vers les énergies vertes, vers une plus forte régionalisation au détriment de la globalisation, vers une plus grande souveraineté des Etats (défense, énergétique), vers un risque géopolitique plus élevé, vers de nouvelles possibilités offertes par l’intelligence artificielle…

Ces éléments invitent à anticiper un nouveau régime de taux et d’inflation en comparaison de la décennie précédente. Le vieux continent pourrait ainsi tirer son épingle du jeu grâce à ses industries intensives en capital physique, ses acteurs dans le domaine des enjeux environnementaux, et plus globalement encore de sa « vieille économie » au destin retrouvé…

Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.