Les risques engendrés par la perte de biodiversité sur les systèmes écologiques et socio-économiques pourraient être au moins aussi élevés que ceux imposés par le changement climatique, en plus de leurs interactions destructrices, selon étude que vient de publier la Banque de France. Dans ce contexte, la communauté financière a récemment commencé à s’intéresser aux risques financiers liés à la biodiversité (Biodiversity-related financial risks - BRFR). La mauvaise nouvelle annoncée par les chercheurs est que la complexité des processus écosystémiques et la substituabilité limitée du « capital naturel » rendent l’évaluation des BRFR encore plus difficile que celle des risques financiers liés au climat.
Les conclusions de ce document s’appuient sur une étude pionnière de van Toor (2020) aux Pays-Bas pour fournir la première évaluation des BRFR pour le système financier français. L’étude s’appuie sur ce qu’elle appelle « le portefeuille », constitué par les titres de créance et les actions cotées émises par des sociétés non financières et détenus par des institutions financières françaises, et procède comme suit.
Pour approcher les risques physiques, une mesure des dépendances des activités économiques financées par les institutions financières françaises repose sur une liste de 21 services écosystémiques. En considérant les dépendances directes, il est constaté que 42 % de la valeur de marché des titres détenus par les institutions financières françaises provient d’émetteurs (sociétés non financières) qui sont fortement ou très fortement dépendants d’au moins un service écosystémique. Plus largement, en considérant les dépendances en amont (ou indirectes) aux services écosystémiques, tous les émetteurs de titres du portefeuille sont au moins légèrement dépendants de tous les services écosystémiques à travers leurs chaînes de valeur.
Afin d’approcher les risques de transition, les chercheurs ont effectué des mesures d’impact sur la biodiversité terrestre et d’eau douce des activités économiques financées par les institutions financières françaises (c’est-à-dire « l’empreinte biodiversité » de leur portefeuille). L’empreinte biodiversité terrestre cumulée du système financier français est comparable à la perte d’au moins 130 000 km² de « nature vierge », ce qui correspond à l’artificialisation complète de 24 % de la surface de la France métropolitaine. Le changement d’affectation des sols est la principale pression expliquant ces résultats. Par ailleurs, le portefeuille des institutions financières françaises génère un impact annuel supplémentaire sur la biodiversité terrestre comparable à la perte de 4 800 km² de « nature vierge », ce qui correspond à une artificialisation complète annuelle de 48 fois la superficie de Paris !
L’étude suggère des pistes de recherche consistant à : (i) développer des scénarios liés à la biodiversité adaptés à l’évaluation des risques financiers ; (ii) utiliser des méthodologies spécifiques permettant de mieux saisir la substituabilité limitée des services écosystémiques et les modèles non linéaires que leur perturbation pourrait générer ; et (iii) développer de nouveaux outils permettant d’évaluer l’alignement des institutions financières sur les objectifs liés à la biodiversité.
Le Congrès de la nature qui a débuté ce 3 septembre à Marseille et qui va rassembler pendant neuf jours jusqu’à 6 000 représentants de gouvernements, de la société civile, des milieux universitaires et du monde des affaires, a pour objectif d’organiser des échanges entre les acteurs pour fixer des priorités et influer sur les négociations à venir. Pour espérer des engagements de la part des Etats, il faudra attendre quelques mois la COP biodiversité qui devrait se tenir entre octobre 2021 et avril 2022.
François LETT, Directeur du département éthique et solidaire