La règle de Taylor a été développée par l’économiste du même nom au début des années 1990. Son intention était alors de mettre en équation la « fonction de réaction » des banques centrales, afin d’aboutir de manière systématique à la prescription d’un niveau de taux directeur adéquat, au regard de l’évolution de certaines variables économiques. Mathématiquement, cette règle a d’abord pris la forme suivante : r = p + 0,5(y-y*) + 0,5(p2) + 2. Mise à l’épreuve par les techniques économétriques, elle a ensuite été raffinée, mais les termes les plus importants sont restés les mêmes. (p-2) représente ainsi l’écart entre le niveau d’inflation observé (p) et la cible de 2 % des banques centrales ; (y-y*) l’écart de production, ici calculé par le différentiel entre la croissance économique (y) et son potentiel de long-terme (y*). Théoriquement, les banques centrales devraient donc augmenter – plus que proportionnellement – leurs taux à chaque fois que la cible d’inflation est dépassée et/ ou lorsque l’économie « surchauffe », et inversement.
Mais alors, quel lien avec Taylor Swift ?
En 2023, l’économie américaine a surpris par sa vigueur, en raison notamment de la transition dans la composition de la demande. Les consommateurs ont favorisé les services, au détriment des biens dits durables. La tournée américaine de la chanteuse Taylor Swift constitue à cet égard l’un des symboles de cette période. Outre les dépenses liées à l’achat des billets, chacun de ses passages a aussi engendré des retombées pour les restaurants, les hôtels...
Les “ Swiftonomics ”, comme il est désormais coutume d’appeler ce phénomène, ont contribué à augmenter le PIB américain, l’aidant à l'amener au-delà de son potentiel, et probablement aussi à la robustesse du marché du travail. C’est ainsi que tout au long de l’année, en plus d’une inflation supérieure à 2 %, la règle de Taylor n’a cessé de prescrire des taux directeurs relativement élevés.
Écrire sur ce sujet n’a rien d’anodin. Quelques jours avant le « pivot » opéré par la Fed lors de sa réunion de décembre 2023, Christopher Waller (membre de la Fed) a explicitement fait référence à la règle de Taylor, en indiquant qu’il serait logique d’abaisser les taux, à mesure que l’inflation décélère. En utilisant différentes mesures d’écarts à la production (croissance – potentiel, taux de chômage – celui d’équilibre…) et d’estimations du taux neutre, les taux prescrits par une règle de Taylor modifiée s’échelonnent actuellement de ~4,5 % à 6,5 %, proches donc des niveaux pratiqués par la Fed aujourd’hui. Si l’on projette cette fois l’évolution possible de l’inflation au cours des prochains mois, tout coïncide effectivement avec plusieurs baisses de taux à venir. Toutefois, l’autre partie de l’équation ne doit pas être négligée. Quid du taux de croissance et du taux chômage en comparaison de leur niveau d’équilibre ? C’est là toute l'ambiguïté de la méthode, car comme nous l’avions indiqué il y a quelques mois, les banques centrales sont « guidées par les étoiles », à l’instar du taux neutre (r*) ou du taux de chômage d’équilibre (u*). Aux États-Unis, les conditions financières se sont récemment détendues, et les statistiques de l’emploi publiées la semaine passée n’ont pas montré de grands signes de faiblesse. Selon nos estimations, les chiffres de croissance du 4ème trimestre 2023 et ceux du 1er trimestre 2024 devraient encore être assez bons.
Si le scénario de baisse des taux en 2024 semble aujourd’hui acquis, l’incertitude demeure quant à l’ampleur de ces dernières, la raison qui pousserait les autorités monétaires à franchir le pas, et si celles-ci privilégieront la règle (de Taylor) plutôt que la discrétion. Au regard des éléments évoqués plus haut, un desserrement monétaire au 1er trimestre 2024 nous paraît toujours difficilement envisageable. Enfin pour l’anecdote, après les États-Unis, ce sera au tour de l’Europe d’accueillir les concerts de Taylor Swift en 2024…
Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.