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Pivotera bien, qui pivotera la première

Avec le ralentissement du pas des hausses de taux par la plupart des banques centrales, il est désormais possible de dire, non sans ironie, que le pic du resserrement monétaire mondial n’a jamais été aussi proche. Les autorités vont-elles respecter le credo («plus haut pour plus longtemps») qu’elles se sont fixées, ou bien vont-elles « pivoter » (i.e. baisser leur taux) plus tôt que prévu comme le laisse sous-entendre les anticipations de marché ?

Aux Etats-Unis, la Banque centrale américaine (Fed) a mené en 2022 l’un des plus rapides et des plus puissants cycles de resserrement monétaire jamais recensés. A 5,25 %, le taux directeur de la Fed, augmenté d’une communication durcie précocement (dès fin 2021), d’un dégonflement graduel de son bilan, et des potentielles conséquences du stress bancaire sur les conditions de crédit, ne se situe plus très loin de règles de Taylor calculées sous différentes hypothèses.

L’atteinte d’une politique monétaire restrictive n’est donc a priori plus le sujet principal. Pour le moment, l’inflation décélère grâce à l’apaisement des facteurs liés à l’offre (tensions logistiques, matières premières…), tandis que ceux relatifs à la demande (services…) s’accrochent. Les créations d’emplois s’approchent peu à peu de leur moyenne historique et les problèmes d’appariement de la force de travail s’atténuent avec la baisse des intentions d’embauche et des offres d’emplois non pourvues, sans entraîner de hausse du taux de chômage. La progression salariale reste malgré tout élevée. La question est désormais de savoir quel sera le temps nécessaire afin que ces hausses de taux ne ralentissent suffisamment l’excès de demande et, in fine, quand interviendra le « pivot » ainsi qu’un retour progressif à la neutralité. Les résultats sur la croissance et l’inflation sont encourageants, mais pas encore satisfaisants.

Autrefois gouvernée par un choc énergétique découlant de la guerre en Ukraine, la problématique de l’inflation en Europe s’est peu à peu complétée par un choc de demande, en décalage de plusieurs mois avec les Etats-Unis. La reprise post-Covid, la crise énergétique finalement évitée, l’augmentation des salaires et des profits, les conséquences du Brexit… donnent aux pressions inflationnistes une allure persistante. La Banque centrale européenne (BCE) a confirmé qu’elle n’en avait pas terminé. Idem pour la Banque d’Angleterre (BoE), alors même que celle-ci a débuté son resserrement monétaire dès 2021. Ici aussi, les autorités questionnent le caractère restrictif de leur politique monétaire, mais également sa transmission. En zone Euro, l’enquête sur les conditions de crédit au 1er trimestre suggère bien un durcissement de ces dernières, et l’économie britannique pâtit de sa dépendance aux prêts à taux variable. La lutte contre l’inflation l’emporte néanmoins, et sur ce front les résultats ne semblent ni encourageants, ni satisfaisants.

D’après les anticipations des marchés financiers, la Fed serait la première à baisser ses taux dès l’été, suivie par la BCE fin 2023-début 2024, précédant de peu le mouvement de la BoE. Si l’ordre n’a pas de quoi surprendre, c’est plutôt la chronologie qui interpelle. Avec une inflation qui mettra du temps à atterrir et une récession qui s’éloigne, difficile pourtant d’envisager un retournement si rapide pour la Fed. En outre, ce cycle est si atypique qu’il rend quasi inopérants les parallèles historiques. Seule une détérioration sensible du taux de chômage, en raison de l’aggravation du stress bancaire ou d’une dégradation conjoncturelle plus « classique », serait susceptible d’accréditer la thèse du marché. Reste encore à déterminer le moment à partir duquel la Fed favoriserait l’emploi à l’inflation, qui demeurerait sans doute encore trop élevée. La BCE et la BoE n’en ont pas fini avec les rehaussements de taux, et les attaches historiques sont moins nombreuses. Un rétropédalage sitôt la dernière hausse effectuée semble de facto présomptueux, d’autant qu’une récession ne calmerait pas l’ardeur de ces banques centrales, comme leurs propos tenus en 2022 l’ont souligné.

La pause aura-t-elle lieu cet été, à la rentrée, fera-t-elle l’objet de déclarations lors du symposium de Jackson Hole ? Plus que le « pic », c’est la chronique du « pivot » qui sera déterminante, et à ce petit jeu les marchés pourraient bien se faire surprendre…

Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.