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© Jacob Lund
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« Le travail c’est la santé »

Les histoires de marché se suivent et ne se ressemblent pas. Après avoir craint une «  surchauffe » de l’économie américaine, accompagnée d’une seconde vague d’inflation en première partie d’année, les investisseurs redoutent désormais la récession. Des signes de craquelures sur le marché du travail américain étaient déjà perceptibles depuis des mois, pour qui voulait bien les voir. Il aura toutefois fallu attendre les prises de parole de Jerome Powell, pour que l’emphase sur l’emploi soit plus prononcée. Dans ce contexte, quels enseignements tirer des chiffres américains du mois d’août, publiés la semaine dernière ?

Le marché de l’emploi renseigne sur l’état de santé de l’économie américaine. Si, par exemple, les entreprises subissent la hausse des taux de la Fed ou plus simplement un choc de demande négatif lié au cycle, ces dernières vont alors décaler leurs investissements, puis si les choses s’enlisent, ralentir les embauches voire réduire la voilure sur la force de travail. Les ménages, dont l’emploi est menacé ou bien par crainte d’un futur plus morose, vont ensuite moins consommer. Par effet cascade, cette baisse de la consommation se traduit par une diminution des profits des entreprises. S’enclenche ensuite un cercle vicieux, jusqu’à l’intervention des autorités budgétaires et/ou monétaires.

Pour appréhender la dynamique de l’emploi aux Etats-Unis, il convient d’extraire des signaux à partir des créations nettes d’emplois non-agricoles, du taux de chômage, ou encore des emplois non pourvus... Comme mentionné à plusieurs reprises, l’ensemble de ces métriques sont issues de données d’enquête, dont la fiabilité a diminué ces dernières années. Les sondés sont moins nombreux à y répondre et les chiffres des mois précédents sont régulièrement révisés à la baisse. En dépit de cela, ces indicateurs continuent de donner le « la » sur les marchés.

Selon les statistiques publiées vendredi dernier, l’économie américaine a donc crée 142 000 emplois non-agricoles au mois d’août, portant à 116 000 la moyenne sur les trois derniers mois (vs ~180 000 avant la pandémie). Le taux de chômage est quant à lui passé de 4,3 % à 4,2 %, après avoir donné des sueurs froides au marché en juillet. Le taux de participation au marché du travail est quant à lui resté stable à 62,7 %. Si ce chiffre est en absolu plus bas qu’avant la pandémie, en raison de départs anticipés à la retraite, il cache en réalité un formidable « boom » de nouveaux entrants sur le marché, dont les travailleurs de 25 à 54 ans ou encore les femmes.

La publication de ces chiffres, conforte notre scénario, inchangé depuis plus de six mois, d’une moindre vigueur de l’emploi américain. La tension sur le marché du travail a fortement diminué. Il y a désormais ~1 offre d’emplois non pourvue par chômeur, contre 2 pour 1 en mars 2022. Le taux d’embauches a fortement diminué, de même que les démissions. Une décomposition sectorielle consistant à distinguer les secteurs peu cycliques (emplois gouvernementaux, de l’éducation et des services de santé) des autres considérés comme plus cycliques (le reliquat), montre un ralentissement notable de l’emploi privé.

Le marché du travail s’est rééquilibré et s’est même refroidi. Les signaux extraits d’une batterie d’indicateurs ne sont pas compatibles avec l’imminence d’une récession, mais la frontière est mince et le moment crucial. C’est pour cette raison que la Fed a désormais fait de l’emploi sa priorité en matière de communication et qu’une baisse de taux en septembre ne fait plus de doute. En conséquence, les marchés financiers se sont mis à anticiper, ces dernières semaines, de nombreuses baisses de taux. Nous trouvons ce mouvement excessif.

Premièrement, car abaisser les taux de 0,50 % lors de la réunion de septembre – comme l’envisagent les marchés – enverrait un signal de « panique » face à une situation qui ne l’exige pas. Deuxièmement, s’il s’agit d’un ajustement de politique monétaire (pour suivre la baisse de l’inflation et éviter l’« hémorragie » sur le marché du travail) et que les Etats-Unis évitent la récession, comme nous le pensons, anticiper près de 250 points de base de baisses de taux d’ici au troisième trimestre 2025 n’est pas non plus justifié. En outre, le résultat des élections américaines, encore très incertain, devrait « chahuter » la trajectoire de l’assouplissement monétaire…

Florent Wabont, Économiste