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INFO PARTENAIRE

« Le club des trois »

La semaine dernière, trois grandes banques centrales se sont réunies. Auparavant unies contre une menace commune, ces dernières entonnent désormais un discours plus modéré, tout en conservant des problématiques spécifiques.

La Fed a décidé, mercredi dernier, de revenir sur un rythme plus conventionnel, en réhaussant son taux directeur de 0,25 %, pour le situer à 4,75 %. Jerome Powell a confirmé qu'un phénomène de désinflation s’était enclenché, suggérant néanmoins que d’autres hausses de taux sont à attendre, afin de ramener l’inflation à 2 %.

L’institution a par ailleurs indiqué que la dissonance entre le marché – qui anticipe des baisses de taux dès la mi-2023 – et la Fed provenait d’une divergence concernant les perspectives de désinflation. La principale préoccupation se situe maintenant sur l’emploi et les salaires, qui influencent tout particulièrement l’inflation des services hors immobilier.

Le lendemain, la Banque d’Angleterre (BoE) ainsi que la Banque centrale européenne (BCE) ont remonté leur taux directeur de 0,50 %, les positionnant respectivement à 4 % et 2,50 % (taux de facilité de dépôt). Dans les deux cas, ces dernières ont signalé que la balance des risques du couple croissance/ inflation est désormais plus équilibrée, laissant entrevoir une moindre agressivité future. La communication de la BCE s‘est avérée confuse, contredisant même certains propos du mois dernier.

Christine Lagarde a confirmé qu’une nouvelle hausse de 0,50 % était prévue pour la prochaine réunion (en mars), et qu’une évaluation de la situation serait nécessaire au-delà. Pour autant, l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) demeure un sujet d’inquiétude, puisqu’elle ne montre que peu de signes de faiblesse, contrairement aux États-Unis par exemple. De son côté, la BoE s’est elle aussi montrée plus colombe, alors même que le Royaume-Uni fait face à ses vieux démons, dans le sillage de mouvements sociaux et d’une forte progression salariale.

Sans explicitement prononcer le mot qui fâche, les banques centrales semblent finalement considérer qu’une partie de l’inflation était… transitoire, et souhaitent dorénavant guider leurs décisions grâce aux statistiques économiques.

Au cœur de cette « dépendance aux données » se trouve le concept du délai nécessaire à la politique monétaire pour se transmettre au sein de l’économie. Il y a près de 60 ans, les économistes Milton Friedman et Anna Jacobson Schwartz ont été les premiers à théoriser les « long and variable lags », qui caractérisent l’influence des variations de la masse monétaire sur l’inflation et la croissance.

Depuis, des analyses plus poussées ont confirmé ces résultats, mais ont toutefois mis en exergue d'importantes différences de temporalité d'un cycle de resserrement monétaire à l'autre (de quelques mois à plus de 2 ans). La littérature récente insiste notamment sur la communication des banques centrales et sa traduction immédiate sur les marchés financiers, qui par la suite affectent l’économie réelle. D’autre part et comme nous l'évoquions l’année passée, l’incertitude demeure quant à la sensibilité de l’économie aux hausses de taux, en raison de la santé financière des agents économiques, ou encore de l’excès d'épargne hérité de la crise sanitaire.

A-t-on déjà absorbé à une partie des effets du resserrement monétaire, ou bien l’essentiel est-il à venir en 2023 ?

En outre, l’idée d’une réaccélération du cycle économique se fait jour. Le rapport de l’emploi américain pour le mois de janvier, publié vendredi dernier, a fait état d’un nombre de créations d’emplois bien supérieur aux attentes. Le taux de chômage (à 3,4 %) est quant à lui au plus bas depuis 1968, faisant craindre à la Fed la persistance de l’inflation via les salaires. De la même manière, en zone Euro, une inflation sousjacente élevée dans un contexte d’atténuation du risque de récession marquée, couplée à la réouverture de la Chine, constitue la principale menace pour la BCE. La BoE pâtit quant à elle d’un risque accru de boucle prix salaires, ainsi que de l’effet délétère des taux variables sur son marché immobilier.

Le « club des trois » va donc devoir faire preuve de patience et de minutie, afin d’identifier si le programme initié en 2022 et prévu en 2023 sera suffisant pour juguler l’inflation, ou au contraire trop dur à encaisser pour l’économie.

Florent WABONT, Économiste