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Le climat n’a pas encore gagné la bataille financière

Les résolutions d’actionnaires sur le climat n’ont plus la cote aux États-Unis. Les actionnaires d’Exxon et de Chevron ont ainsi rejeté un total de 13 résolutions liées aux émissions de carbone ou au changement climatique lors des assemblées annuelles en mai dernier. Ainsi, seuls 11 % des actionnaires d’Exxon ont soutenu cette année une proposition demandant à l’entreprise de fixer des objectifs de réduction des émissions cohérents avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. L’année dernière, la même proposition avait obtenu 28 % de soutien. Une proposition similaire chez Chevron a reçu 9 % de soutien cette année, contre 33 % l’année dernière.

Symbole de l’inversion du rapport de force entre actionnaires favorables au climat et émetteurs, Exxon vient d’intenter une action en justice en vue de bloquer le dépôt d’une résolution sur le climat lors de son assemblée générale prévue le 29 mai prochain. Sa plainte vise des investisseurs menés par l’ONG néerlandaise Follow This, qui lui reprochent de ne pas avoir adopté des objectifs plus contraignants en matière d’émission de gaz à effet de serre. Exxon est en effet la seule des cinq plus importantes compagnies pétrolières occidentales à ne pas s’être fixé d’objectifs destinés à réduire ses émissions indirectes provenant des utilisateurs de ses produits (Scope 3).

Le groupe américain estime qu’un vote sur cette résolution « serait préjudiciable aux intérêts des actionnaires et à la création de valeur de l’entreprise à long terme », niant donc toute influence du changement climatique, au risque de générer des « stranded assets » (actifs sans valeur) dans quelques années.

Dans un mouvement de surenchère, le fonds activiste Bluebell Capital, qui s’est fait connaître en France en obtenant la démission d’Emmanuel Faber chez Danone, estime qu’en prévoyant de ne réduire sa production de pétrole et gaz de 25 % d’ici 2030, BP détruit de la valeur actionnariale. La firme britannique ne profiterait donc pas suffisamment du rebond des énergies fossiles depuis le début de la guerre en Ukraine, contrairement à ses concurrents qui ont enregistré des profits record. Le fonds a donc envoyé une lettre à la major pétrolière pour lui demander de revenir sur sa stratégie de réduction de production de pétrole.

A contrario, les deux super-major pétrolières américaines Chevron et Exxon, viennent de divulguer qu’elles allaient déprécier plusieurs milliards d’actifs pétroliers situés en Californie. Exxon a décoté ses gisements de 2,5 Mds de dollars en raison de la loi californienne qui interdit le transport par camion du pétrole pour des raisons environnementales et de risque d’incendie. Pour Chevron, l’arrivée à terme de l’exploitation de champs pétroliers situés dans le Golfe du Mexique générerait une perte de 4 Mds de dollars. En effet la loi californienne oblige les compagnies à prendre en charge les frais de nettoyage indispensables à la remise en état du site.

Ces deux annonces montrent que les profits des compagnies pétrolières, particulièrement favorisés depuis la guerre en Ukraine, pourraient ne pas perdurer éternellement.

Une première phase de déclin avait déjà commencé après l’Accord de Paris sur le climat en 2015 où Exxon avait été exclu du Dow Jones au cours de l’été 2020, en raison de la chute de sa capitalisation boursière. Plus grosse entreprise mondiale cotée en 2011, Exxon vaut aujourd’hui 5 fois moins qu’Apple.

Cette situation qui conjugue explosion des profits à court terme des compagnies pétrolières et perspective d’une forte dévalorisation de leurs actifs dans le futur expliquent ces forts antagonismes de comportement.

C’est la célèbre « tragédie des horizons » énoncé par Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, en 2015. Elle est malheureusement près de 10 ans plus tard toujours d’actualité.

Contenu rédigé par François Lett, Directeur du département éthique et solidaire.