Le 19 mars dernier, la Banque du Japon (BoJ) a décidé de mettre un terme à l’ère des taux négatifs. Son taux directeur fluctue désormais dans un corridor compris entre 0 % et 0,1 %, contre un niveau fixe de -0,10 % auparavant. En complément, la BoJ a également décidé de stopper son contrôle de la courbe des taux. Jusqu’à présent, le taux à 10 ans japonais n’était « autorisé » qu’à évoluer entre 0 et 1 %. Ces contraintes avaient déjà été assouplies ces derniers temps. Elles ne sont désormais plus du tout d’actualité. La Banque du Japon demeure néanmoins acheteuse d’obligations japonaises sur le marché à hauteur de 6 trillions de Yens par mois. Elle s’octroie par ailleurs la discrétion d’agir davantage en cas de dérapage trop important, selon ses critères, des taux longs de marché. Parmi les autres mesures non-conventionnelles, la fin des achats d’ETF actions et de l’équivalent de nos foncières cotées a aussi été actée.
Lors de notre dernier édito sur le sujet, nous avions notamment évoqué la « boucle prix-salaires vertueuse » souhaitée par les autorités monétaires, mais le résultat des négociations salariales du printemps (Shuntō en japonais) n’était pas encore connu. Nous en savons désormais beaucoup plus. Les syndicats de travailleurs japonais ont réussi à obtenir des hausses salariales de 5,28 % en moyenne, soit la plus forte augmentation depuis 1991 ! Voici donc le signal qu’attendait la Banque du Japon. Calculée sur le mois de février, l’inflation totale est ressortie à 2,8 % sur un an, sa version hors énergie et produits frais à 3,2 % et celle hors énergie et alimentation à 2,5 %.
Dès lors, qu’anticiper pour la suite ?
Au Japon, ce retour de l’inflation est souhaité, voire souhaitable, afin de rattraper des décennies de déflation quasi-continue. Tel un feu de camp, il s’agit maintenant pour la BoJ de veiller à ce que la flamme ne s’éteigne. À ce titre, le mouvement opéré s’apparente plus à une normalisation de politique monétaire qu’à une volonté de resserrement musclé, à l’instardes autres pays développés ces dernières années. Les conditions monétaires restant accommodantes, cela ne devrait pas changer drastiquement la donne pour les entreprises et les ménages, si ce n’est peutêtre sur les refinancements à venir. Dans ce contexte, nous pensons que la BoJ continuera à se montrer prudente en avançant par petits pas. La bonne tenue de l’activité domestique - qui ces derniers trimestres, semblait montrer quelques signes d’essoufflement - sera cruciale. Notons à cet égard que l’allure de la croissance économique actuelle se rapproche des estimations de la croissance potentielle du Japon, ce qui constitue un facteur déterminant pour le maintien des pressions inflationnistes internes. Un accroissement de la volatilité du Yen face au dollar notamment constitue en revanche un risque, aussi bien pour la dynamique de l’inflation importée (en cas de dépréciation) que pour les exportateurs japonais (en cas d’appréciation). Enfin, il conviendra d’être attentif aux réformes structurelles menées par le gouvernement (défense, transition énergétique…).
Pourquoi s’intéresse-t-on au Japon ?
Premièrement, parce que le marché des actions japonaises est l’un des plus gros en termes de capitalisation boursière après les États-Unis et l’Europe, et que l’attrait pour ce dernier ne cesse de grandir chez les investisseurs internationaux. Deuxièmement, parce que les investisseurs japonais sont d’importants détenteurs de dettes d’Etats, notamment françaises. Si le différentiel de taux ajusté du change entre les obligations japonaises et les obligations internationales venait à se resserrer, de tels flux sortants pourraient déstabiliser l'ensemble du marché obligataire souverain. Nous n’y sommes pas, mais ce point est à surveiller attentivement.
La Banque du Japon se réunira le 26 avril prochain, mais aucune décision ne devrait toutefois être prise. Les mots retenus pour qualifier l’évolution de la situation seront en revanche évalués avec une grande précision…
Contenu rédigé par Florent Wabont, Économiste