Dans cet espace, la rédaction d’ID n’exerce pas de droit de regard sur les informations disponibles et ne saurait voir sa responsabilité engagée.
©Pexels/Pixabay
Info Partenaire

Inflation : Big in Japan partie 2 ?

Le 28/11/2022, nous avions qualifié d’atypique la situation économique du Japon. Les pressions inflationnistes commençaient tout juste à se former et nous n’envisagions alors aucun changement drastique de la politique menée par la Banque centrale japonaise (BoJ), la voyant même profiter du resserrement monétaire mondial. Le retour de l’inflation apparaissait par ailleurs comme une aubaine pour un pays ayant vécu la déflation, d’autant plus dans un contexte de hausses salariales. La BoJ fait toujours exception parmi ses pairs, mais depuis quelques mois, les spéculations grandissent autour d’une normalisation de sa politique. La situation aurait-elle changé ?

Au Japon, le pic d’inflation a été franchi en janvier 2023, à 4,3 % sur un an. Le pays n’a ensuite pas échappé au phénomène de désinflation mondial, tout au long de l’année dernière. Le rapport de décembre publié la semaine passée a fait état d’une progression annuelle de 2,6 % pour l’inflation totale, tandis que l’inflation cœur (hors produits frais et énergie) est ressortie à 3,7 %. En termes de contribution, la catégorie de l’alimentation explique 1,83 % de la hausse de 2,6% des prix totaux. Le solde restant provient majoritairement des services au sens large, mais aussi de quelques sous-catégories de biens durables. Comme pour d’autres pays développés, la composante énergie contribue désormais négativement à cette évolution. En comparaison de la situation dépeinte en 2022, l’inflation énergétique a laissé sa place à celle des services et, à cet égard, il conviendra d’être attentif aux résultats des négociations salariales du printemps (baptisées shuntō).

En dépit de l’évolution de l’inflation, la Banque du Japon est restée plutôt inactive. Elle s’est tout de même attelée à modifier par petits pas le contrôle de sa courbe des taux. Dans un contexte marqué par une faible inflation, cette technique avait été mise en place en septembre 2016, avec pour objectif d’assouplir davantage la politique monétaire, alors contrainte par le plancher des taux directeurs négatifs. Dans le sillage de la reprise post-covid et de l’augmentation de l’inflation, la BoJ a depuis décidé de laisser varier le taux à 10 ans japonais sur une bande de fluctuation plus large. Ce mécanisme revêt une importance particulière pour la « plomberie monétaire » mondiale. Les investisseurs japonais ont en effet délaissé les obligations nationales, peu rémunérées, pour chercher du rendement à l’étranger, notamment en Europe et aux Etats-Unis. Cette volonté de mettre progressivement fin à cette politique représente ainsi un tournant à l’échelle du marché obligataire souverain international, pour lequel les émissions sont attendues en hausse.

En 2024, la BoJ devrait de nouveau s’inscrire à contre-courant. Contrairement aux autres pays développés qui s’apprêtent à desserrer leur politique monétaire, la Banque du Japon pourrait commencer un lent processus de normalisation. A ce stade, si l’institution prévoit un retour graduel de l’inflation vers sa cible de 2 %, le gouverneur Kazuo Ueda n’a récemment pas écarté l’idée d’une nouvelle ère plus inflationniste pour le Japon, citant notamment l’avènement d’une « boucle prix-salaires vertueuse. » La BoJ serait ainsi tentée de tirer un trait sur l’épisode des taux directeurs négatifs (aujourd’hui à -0,10 %), tout en assouplissant également encore un peu plus le contrôle de sa courbe des taux.

L'attitude de « passager clandestin » – qui traduit en économie l’intérêt qu’un seul individu retire d’un comportement collectif – qui a consisté pour le Japon à profiter du resserrement monétaire mondial, sans avoir à opérer le sien, s’est avérée payante. Si la dépréciation du yen a pu contribuer un temps à l’augmentation des pressions inflationnistes, elle a aussi permis aux exportateurs japonais de tirer leur épingle du jeu, à l’économie de croître et aux salaires d’augmenter.

Toutefois, cela pourrait aussi constituer un piège. Au moment d’acter le tournant tant attendu, l’économie du pays commence à ralentir franchement et les résultats du shuntō, qui permettront de vérifier les dires du gouverneur Ueda, sont encore incertains. D’autre part, le phénomène inflationniste de ces dernières années ne rattrape pas encore les décennies d’inflation perdues...

En attendant d’avoir des réponses définitives à toutes ces questions, les investisseurs scruteront avec attention la réunion de la Banque du Japon cette semaine, en plus de celle de la BCE…

Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi.