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INFO PARTENAIRE

Gaz et nucléaire décrédibilisent-ils la taxonomie verte ?

Après des mois de tergiversation, la Commission européenne, à la veille du nouvel an, a enfin présenté une nomenclature (« taxonomie » en jargon) d’activités labellisées pour la transition écologique, en y incluant le nucléaire et le gaz naturel.

Le sujet est très sensible car de nombreux États membres - comme l’Autriche, le Luxembourg et le Danemark - s’opposent à l’une ou aux deux sources d’énergie. L’Allemagne traditionnelle, notamment, grande opposante au nucléaire, pousse fortement en faveur de l’inclusion du gaz naturel, alors que c’est l’inverse pour la France. Les deux pays sont donc parvenus à un compromis qui leur permette de soutenir leur préférence respective, tout en offrant certaines garanties aux opposants de ces deux énergies.

Tous les observateurs s’accordent à dire que le nucléaire est vert au regard de ses faibles émissions de CO2. Elles sont d’environ 40 grammes de CO2 par KWh produit, au même niveau que les énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire, 10 fois moins que le gaz naturel, et 20 fois moins que le charbon. Cependant, le principe fondamental du « Do no significant harm – DNSH – » (pas de dommages collatéraux en français) ne serait pas respecté selon les opposants. En effet, si le nucléaire est une énergie assurément décarbonée, la dangerosité des déchets radioactifs pour l’environnement est une réalité à laquelle l’Europe ne propose pas forcément de solution pour le moment.

Le projet de texte stipule donc que les centrales nucléaires doivent être considérées comme « durables » si le pays hôte peut garantir qu’elles ne causent « aucun dommage significatif » à l’environnement, ce qui nécessite l’élimination sûre des déchets nucléaires. Cette règle s’applique à toutes les nouvelles installations nucléaires pour lesquelles des permis de construire seront délivrés d’ici 2045. Cela signifie, a priori, que le principe DNSH peut être contourné si la responsabilité de la gestion des déchets est finalement assumée par l’État et non par une entreprise privée. Ainsi, EDF, déjà très endettée, doit investir 100 milliards d’euros jusqu’en 2030 pour prolonger la durée de vie de ses centrales, et les projets de nouveaux réacteurs EPR sont estimés à une soixantaine de milliards d’euros. La manne européenne est donc indispensable pour que l’ambition nucléaire française puisse s’accomplir !

Pour le gaz, qui est clairement une énergie fossile émettrice de CO2, les pays qui ont poussé à cette intégration justifient leur démarche en arguant que le gaz est beaucoup moins nuisible que le charbon. Des dérogations sur les exigences techniques des futures centrales à gaz ont ainsi été obtenues. Si elles remplacent des infrastructures existantes beaucoup plus polluantes, elles pourront émettre 270 grammes de CO2 par kWh, seuil au-delà duquel la taxonomie définit les émissions comme « dangereuses ». Comme le charbon rejette environ 800 grammes de CO2 par KWh produit, on réalise alors un gain de CO2 immédiat.

Pascal Canfin, président de la Commission de l’Environnement du Parlement européen, dans une interview du 7 janvier dernier au journal Les Echos, déclarait déjà : « Il faut sortir des postures religieuses et trouver un accord 100 % compatible avec nos objectifs climatiques, qui sont non négociables. Le premier élément clé, c’est que le gaz et le nucléaire ne peuvent pas appartenir à la catégorie " verte "  mais, sous certaines conditions, pourraient entrer dans la catégorie des énergies " utiles à la transition ". »

Comme tous les compromis, celui-ci va générer beaucoup de protestations, mais il a le mérite de privilégier un certain réalisme. Une taxonomie ne qualifiant que les énergies renouvelables aurait été sans doute séduisante, mais sans gaz et/ou nucléaire, la neutralité carbone aurait entraîné un profond changement de mode de vie, vraisemblablement difficilement acceptable à ce jour par une majeure partie de l’opinion publique.

François LETT, Directeur du département éthique et solidaire