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Fed : « Si vous m'avez bien compris, c'est que je me suis mal exprimé »

Il y a plus d’un an, nous avions développé l’idée que Jerome Powell était tel un caméléon. Il nous a rappelé Arthur Burns, lorsqu’il a laissé filer l’inflation en 2021. Paul Volcker, lorsqu’il a violemment remonté les taux en 2022. Mais depuis quelque temps, Jerome Powell ne quitte plus son costume d’Alan Greenspan. Celui que l’on surnomme le maestro « sentait » les choses et appliquait une technique dite de « fine tuning », l’ancêtre de la désormais célèbre « dépendance aux données  ». C’est aussi le seul ayant réussi un atterrissage en douceur de l’économie américaine à la suite d’un cycle de resserrement monétaire. La semaine dernière, Jerome Powell s’est montré nuancé, mais relativement confiant sur la trajectoire de l’inflation, alors même que les investisseurs s’interrogent plus que jamais sur le « dernier km » restant à parcourir. Est-on à l’aube d’un « moment Greenspanien » ?

Sans surprise, la Fed a laissé mercredi dernier ses taux directeurs inchangés, entre 5,25% et 5,50%. Outre le fait d’indiquer vouloir ralentir le rythme de réduction de son bilan, elle a surtout relevé ses prévisions d’inflation cœur (hors énergie et alimentation) et de croissance du PIB. Pour autant, la médiane des dots – synthèse anonyme des prévisions de taux directeurs des membres de la Fed – n’a pas été modifiée et suggère toujours trois baisses de taux en 2024. C’est sur l’enchaînement de ces éléments que s’est matérialisée l’interrogation des marchés et de certains commentateurs, nous ramenant à un autre héritage d’Alan Greenspan via sa célèbre phrase : «Si vous m'avez bien compris, c'est que je me suis mal exprimé. »

Notre lecture des choses est la suivante.

Disons-le d’emblée, nous n’anticipons pas de retour à 2% pour l’inflation américaine en 2024. Elle devrait néanmoins s’en approcher, mais en réalité, ça n’est plus tellement le sujet principal. Dès lors pourquoi baisser les taux ? Comme Jerome Powell, nous pensons que les «mauvais » chiffres d’inflation de janvier et février relèvent en partie d’effets de saisonnalité. Alors bien sûr, il existe une différence importante – que nous avons abondamment commentée – entre les indices CPI et PCE. Cet écart ne devrait pas se combler rapidement, mais le phénomène de désinflation n’est pas remis en cause à ce stade. Contrairement à la BCE, la baisse des taux de la Fed répond davantage, selon nous, à une logique d’ajustement de politique monétaire plutôt qu’à une nécessité. Il s’agit d’accompagner la baisse de l’inflation par celle des taux directeurs, dans l’optique de ne pas accroître le caractère restrictif de la politique monétaire et ainsi s’approcher de l’atterrissage en douceur de l’économie.

A cet égard, Jerome Powell a semblet-il voulu indiquer que la Fed dispose du luxe d’attendre que les données d’inflation s’accumulent, dans un contexte où l’économie américaine se porte bien. Nous avons longtemps avancé l’idée que la transmission de la politique monétaire avait été entravée en 2023, notamment en raison du spectaculaire soutien budgétaire et de la moindre sensibilité de l’économie aux taux d’intérêt. Le risque de bascule nous paraît aujourd’hui plus important. Le cycle du crédit se normalise, les agents économiques vont avoir à se refinancer et les premiers signes de craquelures sur l’emploi commencent à émerger. Pour ces raisons, nous anticipons la première baisse des taux en juin voire en juillet.

Plus que « quand ? ou « pourquoi ? », c’est bientôt la notion du « jusqu’où ? » qui importera. Cet ajustement, s’il est effectué précocement et que l’économie n’entre pas en récession, pourra-t-il aller très loin ? C’est ce que tente d’ailleurs de suggérer le relèvement des dots en 2025 et 2026. D’autre part, un élément de taille pourrait faciliter la tâche de la Fed : l’accroissement récent de la productivité du travail. Si cela venait à se confirmer, ce ne serait là encore pas sans rappeler l’attitude d’un certain Alan Greenspan, qui avait pressenti la hausse de la productivité à la fin des années 90, après les baisses de taux de 1995 et l’atterrissage en douceur subséquent. Les taux directeurs étaient ensuite restés relativement stables pendant plus de deux ans…

Contenu rédigé par Florent WABONT, Economiste.