Les pressions inflationnistes que nous observons aujourd’hui résultent d’un déséquilibre entre l’offre et la demande, hérité de l’ère Covid. Sur la période récente, une dichotomie s’observe néanmoins entre l’inflation « totale » qui s’élève à +8,2 % sur un an en septembre et l’inflation « cœur » (hors énergie et alimentation) s’établissant à +6,6 % sur la même période. Si la première décélère depuis son point haut de juin 2022 (+9,1 %) grâce à la baisse des prix du pétrole, la seconde accélère par rapport au creux atteint en juillet, en raison de la catégorie des services. C’est en effet cette dernière qui fait montre de la plus grande ténacité, tout particulièrement la sous-catégorie liée aux coûts du logement qui représente ~40 % de l’indice des prix. Les loyers sont évalués de manière « fictive » en interrogeant les propriétaires sur ce qu’ils seraient prêts à payer s’ils étaient locataires de leur bien. En outre, leur évolution est lente et réagit avec retard (de 6 à 9 mois) comparativement aux prix de l’immobilier et des loyers observés de manière plus régulière. En complément, il existe également des indicateurs dits alternatifs, développés par certaines Fed régionales (Atlanta, Cleveland…). Ils permettent d’obtenir la médiane des variations de chacune des catégories de biens et services, extraire les plus extrêmes au-dessus et en deçà d’un certain seuil ou encore se concentrer sur un substrat de composantes dont l’inertie est élevée. Contrairement à 2021, ces indicateurs suggèrent désormais que l’inflation s’« accroche » de manière insidieuse, au-delà même du simple fait immobilier.
Quelles hypothèses peut-on dès lors formuler pour la suite ?
Selon nos estimations et celles des principaux acteurs de place, la décrue devrait être très graduelle, en s’approchant tout juste des 2 % d’ici fin 2024. Nous identifions ainsi plusieurs éléments à surveiller, à l’instar de la transition dans la composition de la demande (des biens durables vers les services), la détente des tensions logistiques, la stabilisation a minima des prix du pétrole, et bien sûr des effets de la politique monétaire de la Fed qui se concentreront sur 2023. Une incertitude demeure toutefois quant à la sensibilité de l’économie aux taux d’intérêt, comparativement à l’ère Volcker. Par ailleurs, les consommateurs américains disposent (encore) d’une sur-épargne et leur levier financier n’est pas haut historiquement. La partie loyers mettra en revanche du temps à s’apaiser et contribuera à une inflation « cœur » élevée pendant plusieurs mois, mais la Fed en a conscience.
Qu’en sera-t-il alors de son seuil de tolérance ? Peut-on imaginer qu’une inflation aux alentours de 3 % puisse être jugée convenable ? A ce stade, il paraît probable que la Fed s’achemine vers un taux directeur proche de ou égal à 5 %, pour ensuite maintenir cette politique restrictive quelques temps. Les récentes déclarations de membres de la Fed mettent néanmoins en exergue des points de discorde. Puisque les effets de la politique monétaire s’appréhendent avec un décalage, certains d’entre eux militent pour ralentir le pas des hausses (passer de 0,75 % à 0,50 % ou 0,25 %), afin d’éviter un « sur-resserrement ». D’autres citent les risques d’instabilité financière mondiale engendrés par les actions menées par la Fed (dépréciation des devises, hausses des taux d’intérêt…), ce qui n’était pas nécessairement une préoccupation à l’époque de Paul Volcker où la mondialisation n’en était qu’à ses balbutiements.
Jerome Powell est-il en train de créer sa propre légende ou bien marche-t-il sur les pas de ses illustres prédécesseurs ? La question reste ouverte.
Florent WABONT, Economiste