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Dur dur d’être un banquier central

Après les statistiques montrant une économie sous haute pression, la Banque centrale américaine (Fed) est prise au dépourvue par la faillite de la SVB et le stress sur les banques régionales. Elle a, malgré tout, décidé de remonter son taux directeur de 0,25 % mercredi dernier, mais le contexte a quelque peu changé. La Fed jongle désormais sur trois tableaux : lutte contre l’inflation, taux d’emploi maximum et... maintien de la stabilité financière.

La Fed a donc rehaussé son taux directeur à 5 % (fourchette haute), qui atteint ainsi un plus haut symbolique depuis septembre 2007. Le discours accompagnant cette décision affiche une plus grande prudence concernant l’apaisement des pressions inflationnistes, sans pour autant balayer l’idée qu’un phénomène de désinflation s’est enclenché. En outre, les mots choisis pour qualifier les hausses de taux à venir incorporent dorénavant une forme de conditionnalité plus prononcée. La Fed a par ailleurs caractérisé la faillite de la SVB d’événement isolé, et a assuré de sa confiance vis-à-vis du système financier américain, pour lequel des mécanismes de fourniture en liquidité ont rapidement été mis en place. Les Dots – synthèse des prévisions anonymes des membres de la Fed sur le niveau des taux directeurs – demeurent quasi identiques pour 2023, et suggèrent toujours un taux terminal de 5,25 %. En éloignant l’horizon, ces prévisions sont en revanche plus dispersées, s’échelonnant de 3,375 % à 5,625 % pour 2024. L’institution intègre toujours une inflation cœur qui ne redescendrait pas à 2 % de sitôt, et un taux de chômage qui remonterait tout juste à son niveau structurel en 2023 (~4,5 %). Ce rendez-vous laisse une impression de « réunion pour rien », tant il est encore prématuré d’évaluer les conséquences du stress bancaire. En ne donnant aucune direction et en laissant les Dots inchangés, la Fed s’achète du temps. Les marchés ne sont quant à eux pas sur la même longueur d’onde, puisqu’ils anticipent un arrêt des hausses de taux et plusieurs baisses en 2023.

Dès lors, qu’attendre pour la suite ?

Mois après mois, le marché du travail ne cesse de prouver sa vigueur. Les créations nettes d’emplois non agricoles sont en moyenne bien plus élevées que la tendance pré-crise sanitaire, tandis que les inscriptions hebdomadaires au chômage oscillent autour des plus bas historiques. Le nombre d’offres d’emplois non pourvues gravitent également loin des standards. Des signaux encourageants d'assagissement commencent toutefois à émerger. Quelques secteurs clés (construction, restauration, santé…) freinent en effet leurs intentions d’embauches et, bien qu’en forte progression, la dynamique salariale s’est légèrement enrayée sur la période récente.

Du côté de l’inflation, les pressions persistent. En combinant plusieurs mesures d’inflation cœur (hors énergie et alimentation) sur différentes temporalités, nous observons cependant une tendance désinflationniste se dessiner. Mis bout à bout, la combinaison d’un marché de l’emploi qui commence tout doucement à s’apaiser, sans entraîner une forte hausse du taux de chômage, et du tournant désinflationniste, milite pour la poursuite d’un resserrement monétaire relativement limité.

La (trop) bonne tenue de l’économie représente toutefois une ombre au tableau. En raison notamment d’une consommation soutenue, nous estimons à ~2 %-2,5 % en rythme annualisé la croissance du PIB réel américain pour le 1er trimestre 2023. Ce niveau d’activité (> à la croissance potentielle) incite à ne pas baisser la garde, compte tenu des conséquences éventuelles sur l’emploi et l’inflation.

Au total, un taux terminal légèrement supérieur à celui signalé par les Dots sera peut-être nécessaire. En creux s’immisce aussi la notion du délai nécessaire à la politique monétaire pour se propager au sein de l’économie. Au même titre que l’effet de l’atténuation des tensions logistiques sur l’inflation, la Fed devrait par ailleurs profiter d’un resserrement monétaire « gratuit » par le biais d’une plus grande prudence des établissements bancaires concernant l’octroi de crédit dans le contexte actuel. Rares sont les périodes où instabilité financière et forte inflation ont cohabité. Tant que le risque systémique n’est pas avéré, la Fed pourrait poursuivre son resserrement monétaire pour se conformer à son mandat de stabilité des prix. La combinaison de plusieurs facteurs suggère néanmoins que le taux terminal n’est plus très loin...

Rédigé par Florent Wabont, économiste