Qu’est-ce qui motive ce bras de fer ?
Notons tout d’abord, que ce n’est pas la première fois que les deux parties entrent en dissonance. Leurs chemins se sont par exemple séparés en mars dernier, avec le stress bancaire (SVB, Credit Suisse…) qui a poussé les marchés à anticiper une inflexion des politiques monétaires par crainte d’un épisode systémique. La stabilité financière n’ayant finalement pas été menacée à ce point, les autorités ont continué leur lutte en faveur de la stabilité des prix. Aussi, les publications de certaines statistiques ont régulièrement donné lieu à des divergences d’opinions de courte durée.
Les chiffres parus récemment ont néanmoins accentué cette déconnexion. En zone Euro, l’inflation totale (incluant énergie et alimentation) n’affiche plus qu’une progression de 2,4 % sur un an en novembre. L’inflation cœur (hors énergie et alimentation), dont la baisse était plus timide jusqu’à présent, est quant à elle passée de 4,2 % à 3,6 %. D’autre part, Isabel Schnabel (membre du directoire de la BCE) – habituellement en faveur d’une politique monétaire restrictive, a salué cette baisse de l’inflation plus forte qu’anticipé. Aux États-Unis, le mouvement de désinflation d’octobre est moins puissant, mais couplé à la forte croissance de l’activité au 3ème trimestre (5,2 % annualisée), il laisse ouverte l’option d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine.
Les marchés pensent donc que la Fed doit abaisser ses taux car elle a vaincu l’inflation sans récession, et que la BCE a en revanche été trop loin, car son inflation est plus faible et sa croissance mal orientée. Ce constat sera-t-il partagé par les banquiers centraux ? Lors de la dernière réunion de la Fed en novembre, Jerome Powell a indiqué que l’augmentation des taux souverains depuis l’été avait considérablement resserré les conditions financières, que la politique monétaire était restrictive et que l’inflation s’acheminait progressivement vers 2 %. Depuis, les conditions financières se sont nettement détendues, la désinflation s’est poursuivie et l’emploi a continué de croître (199 000 emplois créés en novembre). À la lumière de ces éléments, la Fed ne rehaussera probablement pas ses taux en décembre, alors qu’elle avait laissé sous-entendre cette possibilité. Bien qu’elle décélère progressivement, l’inflation cœur est encore élevée et l’activité montre peu de signes de faiblesse à ce stade. Un desserrement monétaire trop rapide pourrait ainsi menacer cet équilibre, en réalimentant ne serait-ce qu’un peu, les pressions inflationnistes. À cet égard, la Fed pourrait donc être ferme dans son discours pour recadrer les anticipations des marchés, tout en saluant les progrès réalisés jusqu’ici. Elle pourra s’appuyer sur l’actualisation de ses prévisions et des dots (synthèse anonyme des prévisions de taux directeurs des membres de la Fed) pour affirmer sa volonté de maintenir les taux à ces niveaux de manière prolongée.
Comme Jean-Claude Trichet en son temps, la hausse de taux effectuée par la BCE en septembre était-elle de trop ? L’inflation a principalement reflué grâce à la baisse des prix de l’énergie. Une partie de ce phénomène statistique est désormais derrière nous et il n’est pas improbable que par un effet de calendrier, l’inflation remonte légèrement en décembre. En 2024, les surprises et les chocs ne sont pas non plus à exclure. Même si les signes d’une désinflation diffuse sont bien là, toutes les cases permettant de considérer une baisse de taux ne sont a priori pas encore cochées. L’inflation cœur, l’indicateur de progression salariale surveillé par la BCE et l’évolution des anticipations d’inflation constituent les derniers obstacles. Dans son discours du 14 décembre prochain, l’institution devrait tenter de réaligner les attentes du marché, tout en confirmant que le couple croissance/ inflation s’est détérioré.
La semaine qui s’ouvre sera donc cruciale pour les banques centrales, non pas par les actes, mais par les mots...
Contenu rédigé par Florent Wabont, économiste chez Ecofi