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Quelle intégrité pour les banques?

Après les Panama Papers, une nouvelle enquête mondiale a été rendue possible grâce aux « Suspicious Activity Reports » (SAR) qui ont été envoyés par les banques américaines au service de renseignement financier « FinCEN » (Financial Crime Enforcement Network).

Ces SAR sont l’équivalent américain des déclarations de soupçon des banques françaises à la cellule anti-blanchiment Tracfin, dès lors qu’elles soupçonnent un risque de blanchiment, de financement du terrorisme ou de contournement de sanctions et d’embargos.

2 100 de ces documents ont été obtenus par BuzzFeed News qui les a partagés avec le Consortium International des journalistes d’investigation (ICIJ). Ils sont issus de la fuite de dossiers collectés par la Commission d’enquête du Congrès américain sur les ingérences soupçonnées de la Russie dans la campagne présidentielle américaine de 2016 gagnée par Donald Trump.

L’ICIJ a constitué une équipe de plus de 400 journalistes, travaillant pour 110 organes de presse dans 88 pays, afin de les analyser. Ces 2 000 milliards de dollars d’opérations suspectes identifiées dans cette masse de documents ne sont, semble-t-il, qu’une goutte d’eau dans les flots d’argent sale qui circulent entre les institutions financières. En effet, les fichiers FinCEN ne correspondent qu’à moins de 0,02 % des 12 millions de déclarations d’activités suspectes rédigées par les banques entre 2011 et 2017. Il faut cependant bien noter que ces déclarations d’activités suspectes font état de doutes sur l’origine des fonds, mais ne constituent pas forcément la preuve d’une fraude.

L’analyse de ces documents secrets conclut à l’implication principalement de cinq banques mondiales : JPMorgan, HSBC, Standard Chartered Bank, Deutsche Bank et Bank of New York Mellon. Parmi elles, en 2012, HSBC, la plus grande banque d’Europe, a admis avoir blanchi près de 900 millions de dollars pour le compte des cartels de la drogue en Amérique latine. Dans le cadre d’un accord conclu avec les procureurs, HSBC a versé 1,9 milliard de dollars. En contrepartie, le gouvernement a accepté de suspendre les poursuites pénales engagées contre elle, et a proposé de les abandonner au bout de cinq ans si HSBC tenait son engagement de lutter contre l’argent sale.

Autre exemple, JPMorgan a accepté plus de 50 millions de dollars de dépôts sur 10 ans venant de Paul Manafort, ancien directeur de campagne de Trump. La banque a réalisé 6,5 millions de dollars de transactions pour son compte au cours de l’année qui a suivi sa démission de la campagne, alors que Paul Manafort faisait déjà l’objet d’allégations de blanchiment d’argent et de corruption, dans le cadre de son travail pour le compte d’un parti politique pro-russe en Ukraine. JPMorgan s’était pourtant engagée à améliorer ses contrôles en matière de lutte contre le blanchiment d’argent dans le cadre d’accords conclus avec les autorités américaines en 2011, 2013 et 2014.

Les banques sont tenues d’instaurer des mécanismes stricts d’identification de leurs clients. Les « KYC » (know your customer) leur imposent de savoir qui est la personne physique bénéficiaire de comptes ouverts au nom d’une société. Pourtant, dans la moitié des 2 100 SAR examinés par l’ICIJ, la banque ignorait cette information cruciale. En étudiant les milliers de pages des « FinCEN Files », une constatation s’impose : les grandes banques ne se donnent pas les moyens de combattre efficacement le blanchiment.

Pour John Cassera, expert en criminalité financière passé par le FinCEN, les sanctions imposées sont tout simplement trop faibles, et restent dérisoires au regard des profits des grandes banques. Certains acteurs, comme l’avocat James S. Henry, suggèrent des solutions plus radicales pour vraiment changer les choses, « il faut que les hauts cadres dirigeants qui supervisent ces sujets se sentent en danger » en instaurant leur responsabilité directe.

Texte rédigé par François Lett, Directeur du département économique et solidaire