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Les actifs échoués, fléau pour les entreprises pétrolières ?

En janvier 2020, une lettre signée de Larry Fink, le patron de BlackRock, fit grand bruit. Le leader mondial de la gestion d'actifs y déclarait vouloir se désengager de l'industrie du charbon et exiger que le reste de ses actifs soit aligné sur l'Accord de Paris. Larry Fink justifiait cette annonce en raison de la matérialisation grandissante du " risque de transition " vers une économie bas carbone qui faisait craindre la dévalorisation des actifs liés aux énergies fossiles. Chez les spécialistes on parle de " stranded assets " soit les actifs échoués, c'est-à-dire qui ne valent plus grand-chose sur le marché. En réalité... la lettre était un canular conçu par les activistes écologistes " The Yes Men ", qui ont réussi à piéger jusqu'au Financial Times. 

Aujourd'hui, la blague devient réalité pour les principales majors pétrolières. Elles viennent d'entériner les perspectives négatives d'une baisse durable de la demande de la demande leur activité et one décidé de comptabiliser d'importantes dépréciations d'actifs au deuxième trimestre 2020 : 17,5 milliards de dollars pour BP, 16,5 milliards pour Shell, 8,1 milliards pour Total. Selon le quotidien The Guardian, les sept plus grandes compagnies pétrolières mondiales ont provisionné la bagatelle de 87 milliards de dollars de leurs bilans depuis un an. 

D'après le Financial Times, les prévisions des majors pétrolières pour le baril sont passées d'une moyenne de 70 dollars à 55 dollars pour BP et à 50 dollars pour Total. Un niveau qui condamne les projets hors de prix dans les sables bitumineux et les forages en eaux très profondes

Paradoxalement, les majors américaines ExxonMobil et Chevron n'ont annoncé aucune dépréciation d'actifs pour le moment, alors que dans le secteur du gaz de schiste aux États-Unis les faillites se multiplient. La matérialisation de ces actifs échoués pousse ces compagnies à réfléchir à leurs stratégies de transition. Les majors pétrolières ont le choix entre garder ces actifs en attendant une remontée des cours - mais leurs bilans sont déjà bien grevés par un endettement important - ou arrêter d'y investir, les liquider ou les vendre. 

BP, par le biais de son PDG Bernard Looney, s'est prononcé en faveur de la seconde option. La compagnie a annoncé début août que la compagnie visait une baisse de 40% de sa production de pétrole d'ici à 2030. Une tendance qui s'accompagnerait de 25 milliards de dollars de cessions d'actifs sur la même période. Malgré cette ambition, la major britannique investira toujours trois fois plus dans ses activités de production d'hydrocarbures en 2030 que dans les énergies renouvelables. ExxonMobil a choisi sans surprise la première approche. D'après une étude de Reuters, la compagnie n'effectuera aucun investissement dans des projets d'énergie bas carbone en 2020. 

L'enjeu pour les majors pétrolières consiste également à conserver la confiance des investisseurs, alors que leur business model se trouve de plus en plus remis en cause. Malgré des résultats en forte baisse, ExxonMobil et Total ont, par exemple, préservé le niveau de leur dividende mais Shell et BP ont dû couper le leur respectivement de 66% et 50%.

Selon le Financial Times, le risque d'actifs échoués pourrait faire disparaître jusqu'à 900 milliards de dollars de la valeur du secteur pétrolier et la dernière estimation de Carbon Tracker place même la barre à 2300 milliards de dollars. Les actionnaires des majors pétrolières doivent donc s'attendre à de récurrentes dépréciations d'actifs dans le futur. 

Concrétisation de ces déboires annoncés, ExxonMobil qui avait intégré l'indice Dow Jones en 1928, en a été sorti ce 31 août. Signe que les temps ont changé, il y a 10 ans elle bataillait avec Apple pour le titre de l'entreprise la plus valorisée du monde, mais aujourd'hui sa capitalisation boursière est tombée à 170 milliards de dollars alors que l'entreprise symbolisée par la pomme bat quasiment quotidiennement le record de capitalisation de tous les temps avec plus de 2000 milliards de dollars

Texte rédigé par François Lett, Directeur du développement éthique et solidaire