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INFO PARTENAIRE

L’acquisition de Monsanto : un cas d’école ISR ?

Quelle mouche avait piqué l’état-major de Bayer, société connue du grand public comme la sage inventrice de l’aspirine, avant de décider de la fusion avec le semencier américain Monsanto à l’été 2018 ?

Pour Peter Baumann, son directeur général, celle-ci devait conduire à constituer une machine de guerre. Une répartition géographique idéale de l’activité entre les deux groupes – Monsanto en Amérique, Bayer en Europe et en Asie – des technologies prometteuses en génétique et agriculture numérique, et surtout un positionnement de leader sur la réponse à la question fondamentale : comment nourrir les hommes quand l’humanité comptera 10 milliards d’individus, dans un contexte de réchauffement climatique ?

Malheureusement pour Bayer, Monsanto constituait également l’archétype de l’épouvantail pour les partisans de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). En effet, Monsanto est connu comme l’inventeur et le producteur de l'agent orange, un herbicide utilisé par l'armée pendant la guerre du Vietnam qui a provoqué de nombreux cancers et malformations chez les populations civiles et combattantes. Monsanto a également été condamné pour avoir déversé des déchets de PCB (polychlorobiphényles) – matière utilisée dans les gros transformateurs électriques, dans l’encre, les plastiques et les peintures – dans la rivière Snow Creek, qui traverse Anniston en Alabama.

Les conséquences ont été terribles : cancers, malformations, diabète, maladies décrites par la journaliste Marie-Monique Robin dans son film documentaire « le Monde selon Monsanto » en 2008. Surtout, le groupe croule sous les menaces judiciaires liées au Roundup, le produit phare du géant des OGM. Fin juillet 2019, le groupe allemand faisait face à 18 000 plaintes aux États-Unis concernant cet herbicide. Près de trois mois plus tard, le nombre de plaintes avait plus que doublé avec 42 700 plaintes, et un risque financier estimé entre 15 et 20 milliards de dollars. Les avocats américains ont en effet sorti l’artillerie lourde : selon Bayer, l’avalanche de plaintes résulte de la stratégie offensive d’avocats spécialisés dans les « class action » (actions judiciaires collectives) qui auraient dépensé 50 millions de dollars en annonces télévisuelles au cours des trois derniers mois pour attirer les plaignants. Enfin, les actionnaires ont désavoué la stratégie de la direction.

La capitalisation boursière (64 milliards d’euros) a fondu de presque moitié depuis la fusion avec Monsanto qui a couté 56 milliards d’euros… Lors de la dernière assemblée générale de Bayer en avril 2019, les investisseurs ont rejeté à 55,5% les « actions du directoire ». Certes, le scrutin n’est pas contraignant mais il tranche avec le plébiscite accordé l'année précédente à la direction, avec 97% d'approbation. Le groupe, qui jusqu’à présent restait stoïque dans le déni, semble désormais vouloir modifier son attitude.

Selon les informations du journal allemand Handelsblatt, Bayer envisage d'arrêter les ventes de détail du glyphosate aux particuliers pour éviter qu'ils viennent grossir les rangs des millions de plaignants du Roundup. Surtout, le président de Bayer, Werner Wenning, vient de démissionner le 26 février 2020. Sa déclaration est un modèle du genre : « Bayer fait de grands progrès sur le plan stratégique et opérationnel. L'intégration de l'entreprise agricole acquise se déroule très bien et les mesures annoncées en matière d'efficacité, de structure et de portefeuille progressent bien. Nous avons également fait et continuons de faire des progrès dans le traitement des questions juridiques aux ÉtatsUnis. C'est pourquoi le moment est venu de passer le relais à mon successeur » .

En janvier 2020 déjà, l’agence de presse Bloomberg révélait que Bayer négociait un règlement à l’amiable afin de solder d’un coup la majorité de ces plaintes. Reste à savoir à quel coût. On ne peut que déplorer ce gâchis industriel dû, en grande partie, à la négligence de la RSE dans l’analyse stratégique préalable à la fusion.

François LETT, Directeur du développement éthique et solidaire