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Climat : le double langage d’ExxonMobil

Le document a beau dater de 1979, il tient largement la comparaison avec les études les plus anxiogènes sur le changement climatique publiées aujourd’hui par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : « Au rythme actuel de leur combustion, les ressources fossiles provoqueront des effets environnementaux dramatiques avant 2050 ».

Ce texte, non destiné à être rendu public, a en effet était publié par les scientifiques du pétrolier Exxon et fait partie des dizaines de documents internes de l’entreprise révélés en 2015 par le site « Inside Climate News » et le Los Angeles Times, montrant que les cadres de la société avaient une connaissance fine du risque climatique dès le début des années 1980.

Dans une étude publiée en août 2017 par la revue Environmental Research Letters, Geoffrey Supran et Naomi Oreskes, deux historiens des sciences de l’université de Harvard, ont comparé plus de 150 documents scientifiques confidentiels produits entre 1977 et 2014 par ExxonMobil à d’autres textes sur le réchauffement rédigés par des chercheurs d’Exxon que le pétrolier destinait au grand public, notamment via les nombreux publi-rédactionnels du New York Times.

Selon les auteurs, 83% des articles scientifiques et 80% des documents internes reconnaissent que le changement climatique est réel et causé par l’Homme, contre seulement 12% de ses publi-rédactionnels, dont 81% expriment au contraire des doutes sur la réalité du phénomène ou sur sa cause anthropique. Ainsi, en 1982, un document interne d’Exxon, indique : « Notre meilleure estimation est que le doublement de la concentration atmosphérique actuelle de CO2 pourrait élever la température moyenne d’environ 1,3°C à 3,1°C. » Or, en 1997, Mobil fait paraître un communiqué assurant, entre autres : « Les scientifiques ne peuvent pas prédire avec certitude si les températures augmenteront, ni de combien, ni où les changements se produiront. »

La révélation des documents internes du pétrolier a déclenché en 2015 l’ouverture de plusieurs enquêtes aux Etats-Unis, l’Etat de New York, entre autres, cherchant à savoir si l’entreprise a délibérément trompé les investisseurs en leur cachant certaines informations dont elle avait connaissance.

Dans le procès qui s'est ouvert le 22 octobre devant la Cour suprême de l'Etat de New York, la compagnie est accusée d'avoir trompé entre 2010 et 2014 ses investisseurs, en sous-estimant délibérément les risques financiers liés au réchauffement climatique. Les autorités new-yorkaises estiment le préjudice entre 476 millions et 1,6 milliard de dollars. Selon le procureur général de New York, la société texane « a créé l'illusion qu'elle avait entièrement pris en compte l'impact des risques des futures régulations liées au changement climatique ». Mais, en réalité, les estimations qu'elle communiquait aux investisseurs n'étaient pas celles qu'elle utilisait pour ses projections internes. Par exemple, pour ses gisements de sable bitumineux d'Alberta, l'écart de rentabilité atteignait 25 milliards de dollars et les investisseurs auraient donc surévalué le juste prix de l'action de l'entreprise.

En août 2019, ExxonMobil avait cependant obtenu une première victoire, avec l'abandon des poursuites engagées en 2016 par la Security & Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain. Mais Exxon doit aussi faire face à la fronde d'une partie de ses actionnaires qui réclament à la direction de fixer des objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les Accords de Paris sur le climat. Ce procès devrait être suivi de plusieurs autres contre Exxon et d’autres compagnies pétrolières, accusées par les organisations environnementales d’avoir trompé non seulement les investisseurs, mais aussi consommateurs et acteurs publics sur les effets de leurs activités sur l’environnement. Si la nomination en 2017 par Donald Trump de Jay Clayton, ancien avocat d’affaires et ardent défenseur des grandes banques après la crise de 2008, a créé un rapport de force beaucoup moins favorable a