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Entretiens

"Tous les fonds purs solidaires intègrent la notion d'impact"

À l'occasion de la publication d'une étude sur les fonds professionnels spécialisés solidaires (ou fonds "purs solidaires"), Philippe Devin, son auteur, revient sur le fonctionnement et l'écosystème de ces produits. 

Vous publiez une étude consacrée aux "fonds purs solidaires". Concrètement, de quoi parle-t-on ? 

Les FPS solidaires sont souvent utilisés par les fonds 90-10. Très concrètement, lorsqu’un épargnant choisit de placer son argent sur un OPC solidaire (FCPE, FCP, SICAV…), principalement dans le cadre de son épargne salariale, il le fait sur un fonds dit "90-10". Comme son nom l’indique, le fonds 90-10 est un fonds composé de deux poches : une poche cotée qui représente 90 % de l’encours, gérée selon une approche ISR; et une poche non cotée qui représente les 10 % restant, constituée de titres émis par des entreprises solidaires. Cette part "10" est souvent constituée d’un autre fonds, qui n’est autre que le FPS solidaire. Au lieu d’avoir seulement une, deux ou trois entreprises qui représentent la part "10" du fonds 90/10, le fonds pur solidaire joue le rôle d’intermédiaire. Il investit alors dans 20 ou 30 entreprises solidaires différentes, avec des outils divers. Une particularité qui permet d’étendre l’éventail des financements solidaires et offre bien d’autres avantages pour les sociétés de gestion.

Comment se dessine l'écosystème des FPS en France ? 

Il n’y avait que cinq FPS solidaires lors de la rédaction de l’étude, mais nous savons que ce nombre va augmenter ces prochains mois. Pour l’instant, tous sont tenus par les principaux gestionnaires d’actifs de la finance solidaire, c’est-à-dire BNP Paribas, Amundi, Ecofi (via le crédit coopératif qui gère deux FPS : le FPS Ecofi et le FPS Axa Future Génération) et enfin Mirova. Et globalement, les FPS suivent la tendance globale de la finance solidaire. Les encours ne font qu’augmenter.

Quelles sont les principales conclusions de l'étude ? 

À travers cette étude, nous avons voulu montrer que l’utilisation de ces fonds a plusieurs avantages, cinq au total. Premièrement, cela permet de financer un large panel de profils d’entreprises, mais aussi de diversifier les modes de financement. Cela peut passer par la participation au capital de l’entreprise ou encore par les obligations. Mais également via les BAO (billets à ordre) qui fonctionnent comme des sortes de prêts, et qui viennent nourrir l’entreprise de trésorerie. Ces fonds sont plus adaptés à l’écosystème de l’ESS et aux besoins de l’entreprise.

Deuxièmement, derrière les FPS, il y a des professionnels spécialisés en investissement solidaire. C’est une équipe cohérente qui va mettre en place une stratégie d’impact. Celle-ci va par exemple se concentrer sur la création d’emplois, mais aussi sur les logements sociaux, l’environnement ou encore la microfinance. Cette stratégie, si elle est cohérente, créera de fait plus d’impact. 

Troisièmement, les FPS solidaires sont des actionnaires de long terme. Leur objectif ne sera pas de faire du profit, de la plus-value ou d’apporter des dividendes, mais de vraiment faire en sorte que l’entreprise solidaire reste solidaire dans sa mission.

Le quatrième avantage repose sur le fait que ce type de fonds est peu risqué. Vu que la valeur des actions ne bouge pas puisqu’elles sont non cotées, la volatilité ne bouge pas non plus. Les autres outils, comme les prêts par exemple, apportent un peu de performance aux fonds. Cependant, cela reste globalement très faible. Et, ce faible risque permet à l’épargnant d’être assez protégé.

Le cinquième avantage est probablement le plus important. Nous pourrions croire de prime abord qu’un fonds 90-10 se retrouve bloqué dès lors qu’il investit dans un FPS, puisque les actions sont non liquides, les entreprises de petite taille et les actions non cotées. Pourtant, le fonds 90-10 n’est pas du tout bloqué. Il peut échanger des parts du FPS comme bon lui semble, car le fonds pur solidaire est composé d’actions de l’ESS, de l’ESUS mais aussi d’une poche de "cash". Il peut donc réguler sa poche "10" comme bon lui semble.

Selon vous, les FPS peuvent-ils aussi représenter pour les investisseurs une façon plus "concrète" de générer de l'impact ? 

Tous les FPS intègrent la notion d’impact dans leur rapport d’activité. Nous parlons beaucoup d’impact social, d’impact environnemental… ce sont des notions assez simples et que les gens comprennent. Chacun des FPS essaye de mesurer cette notion d’impact, donc ils regardent tout simplement ce que font les entreprises qui sont financées. Combien de logements sont créés, combien d’emplois sont créés ou encore combien de kilowatt-heure d’énergies vertes sont produits par exemple. Les FPS demandent ces chiffres, et toutes ces données sont agrégées en fonction de leur participation au capital, des prêts qui ont été accordés, etc. 

Finansol et l’iiLab ont récemment fusionné pour devenir FAIR. Selon son président, Frédéric Tiberghien, ce rapprochement a permis à l’association de reconsidérer les enjeux de l’investissement à impact social. Quels sont les nouveaux objectifs liés à ce changement ?

Ce changement suit le comportement des acteurs, qui se penchent de plus en plus sur l’impact. Il y a aussi une transformation de la sémantique. Avant, nous parlions de solidaire et aujourd’hui, nous parlons d’impact social, même si la base légale reste à l’heure actuelle le solidaire, parce qu’en France, la loi ne reconnaît que le solidaire. Parler d’impact social, c’est aussi parler d’un panel qui est beaucoup plus élargi que le solidaire. Pour l’instant, les FPS se doivent de rester concentrés sur l’investissement solidaire, c’est la condition pour que les fonds "90-10" restent eux-mêmes solidaires.

De manière plus générale, pourquoi mettre laccent sur cette notion de finance à impact ?

Parce que je pense que cette tendance, qui est déjà assez forte aux États-Unis et qui répond à une forte demande des citoyens, va également devenir de plus en plus importante en France et en Europe et va se démocratiser avec le temps. C’est aussi lié au fait que le périmètre de la finance à impact social est plus grand que celui de la finance solidaire. De plus, la finance solidaire est très franco-française. Cette notion n’est quasiment pas présente en Europe, alors que la finance à impact peut facilement, vu que sa définition est plus large, s’exporter à l’échelle européenne.