Julia Maris, Directrice RSE du groupe Engie.
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Focus RSE

La RSE nécessite "une approche globale qui intègre le territoire, l’humain et la nature" (Engie)

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L’énergéticien français Engie a présenté sa nouvelle stratégie climat ce début d’année. Certifiée SBTi (Science Based Targets initiative), le groupe s’engage sur une trajectoire dite "well-bellow 2°C" et entend atteindre la neutralité carbone en 2045. La question climatique s’est par ailleurs imposée aux discussions lors de son assemblée générale du 26 avril, alors qu’une coalition d’investisseurs avait déposé une résolution visant à inscrire ces sujets aux statuts de l’entreprise. Entretien avec Julia Maris, directrice RSE du groupe Engie.  

La stratégie climatique d’Engie est certifiée SBTi (Science Based Targets initiative). Qu’est-ce que cela recouvre ?

Notre principal objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2045, ce qui implique une réduction d’au moins 90 % de nos émissions de gaz à effet de serre, en n’en compensant que 10 % au maximum. Cela représente une véritable transformation, un changement de business model. En ce qui concerne nos trajectoires certifiées SBTi, elles couvrent la période 2017-2030 et se déclinent en trois grands objectifs. Le premier concerne la réduction de l’intensité carbone de notre production et consommation d’énergie (scopes 1 et 2) de l’ordre de 66 %. Le deuxième objectif vise à réduire de 56 % l’intensité carbone des ventes d’énergie. Enfin, le troisième objectif porte sur la diminution de 32,5 % des autres émissions de gaz à effet de serre, notamment celles liées aux achats de biens de capitaux, de services et à la chaine amont des combustibles que nous utilisons dans le cadre de notre activité (scope 3).

Cette certification SBTi est alignée avec une trajectoire dite "well-bellow 2°C". Pourquoi ne pas viser 1,5 °C, scénario le plus ambitieux de l’accord de Paris ?  

La certification "well-bellow 2°C" nous engage sur une trajectoire “bien en dessous" des 2°C. À titre d’exemple, pour l'objectif de réduction de 66 % sur les scopes 1 et 2, SBTi exigeait une baisse de 55 % : nous nous engageons donc à aller au-delà de ces ambitions. Par ailleurs, cette réduction nous engage sur une intensité carbone de 110gCO2/kWh à l’horizon 2030, en-deçà des chiffres retenus par Transition Pathway Initiative (TPI) pour un alignement avec une trajectoire 1,5°C sur ces activités. Mais la certification SBTi est plus exigeante : si nous nous alignions sur l'objectif 1,5°C, nous devrions atteindre une réduction d'environ 78 %, ce qui représente un défi supplémentaire à relever dans un délai très court. Quoi qu'il en soit, dès que cela est possible, nous nous efforçons d'aller au-delà des attentes et nous réévaluons régulièrement nos engagements pour améliorer nos trajectoires. À ce jour, 99 % de notre empreinte carbone est couverte par des objectifs publics de décarbonation pour 2030.  

Comment envisagez-vous le mix en 2030 pour atteindre ces objectifs ?

La mise en œuvre de nos ambitions repose sur des choix technologiques. Tout d'abord, nous avons planifié une sortie du charbon en 2025 pour l'Europe continentale et en 2027 pour le reste du monde. Ensuite, nous augmentons la part des énergies renouvelables, qui représenteront 58 % de notre mix énergétique en 2030, principalement grâce à l’'hydroélectricité, à l'énergie solaire et à l'éolien. Le troisième levier est le développement des gaz renouvelables. Nous nous engageons à produire 10 TWh de biométhane par an en Europe, soit environ l'équivalent du volume de gaz russe dont nous dépendions avant la guerre en Ukraine. Pour l'hydrogène renouvelable, nous prévoyons d'installer une capacité de 4 GW d'ici 2030. Enfin, nous développerons des solutions de stockage d'énergie en visant une capacité de batteries de 10 GW d'ici 2030. Nous croyons que seul un mix équilibré dans lequel les gaz renouvelables auront leur place au côté de l’électrification des usages permettra de garantir les meilleures efficacité et résilience du système énergétique. 

Outre la sortie du charbon, pourquoi ne pas fixer la fin de l’ère fossile ?

À ce jour, nous constatons que le gaz va continuer de jouer un rôle majeur dans la transition énergétique, d’autant plus avec l’accélération des gaz renouvelables. Les actifs de production d’énergie au gaz du Groupe sont aujourd’hui essentiels à la sécurité et à l’équilibre des systèmes énergétiques. En 2022 par exemple, ils ont joué un rôle central dans un contexte de forte tension sur l’offre. Dans un mix électrique dominé par les énergies renouvelables intermittentes, les besoins de solutions de flexibilité seront fortement accrus - ils sont multipliés par quatre en 2035 dans le scénario Net Zero Emission de l’Agence internationale de l'énergie (AIE). À moyen terme, seuls les actifs thermiques permettent donc d’apporter cette flexibilité et notre objectif est de les mobiliser essentiellement en période de pointe de demande. Les centrales thermiques au gaz pourront être totalement décarbonées d’ici à 2040-2045 grâce notamment au biométhane et à l’hydrogène renouvelable. 

Environ 75 % de nos investissements sont alignés sur la taxonomie européenne."

Quelle est l’enveloppe prévue pour développer ces solutions ?

Entre 2023 et 2025, nous prévoyons d'investir entre 22 et 25 milliards d'euros pour soutenir notre croissance, soit une augmentation de 50 % du budget alloué par rapport à la période 2021-2023. 70 % de ces investissements seront consacrés aux énergies renouvelables et aux solutions énergétiques décentralisées et bas carbone. Au total, environ 75 % de ces investissements sont alignés sur la taxonomie européenne

Au-delà des engagements climatiques, comment vous positionnez-vous en termes de protection de la nature ? Comment traitez-vous les sujets transverses dans votre politique RSE ?

Ils sont pour nous très importants. Si l’on parvient à atteindre la neutralité en carbone en 2050, mais sur une planète sur laquelle il n’y a plus d’eau ou de biodiversité, je ne pense pas que l’on pourra considérer avoir accompli notre devoir vis-à-vis des générations futures. Chez Engie, nous avons donc également pris des engagements en matière de biodiversité, de forêt, de gestion de l’eau, ou encore d’autres sujets sociétaux... Par exemple, nous avons fixé l’objectif d’atteindre une gestion naturelle des espaces verts de 100 % de nos sites industriels d’ici 2030, en éliminant l’utilisation de tout produit phytosanitaire chimique. Cet objectif a été formulé en 2020 : nous étions alors à 0 %, aujourd’hui nous sommes à 34 %. La gestion de l’eau est également un enjeu crucial dans le cadre de notre activité : nous entendons donc réduire de 70 % le ratio de notre consommation d’eau douce par rapport à l’énergie produite d’ici 2030.  

La nature et ses enjeux varient d’un pays à l’autre : la biodiversité ne peut être abordée de la même manière que les émissions de CO2, qui nécessitent une approche mondiale."

Globalement, le traitement de ces sujets est très différent de celui des questions climatiques. La biodiversité ne peut être abordée de la même manière que les émissions de CO2, qui nécessitent une approche mondiale. En revanche, la nature et ses enjeux varient d’un pays à l’autre. Par conséquent, il est nécessaire d’adopter un pilotage local, régional, adapté à chaque site. Dans le domaine de la RSE, ce sont des enjeux écosystémiques : nous croyons en une approche globale qui intègre à la fois le climat, le territoire, l’humain et la nature. 

Pour rendre compte de nos objectifs sur ces sujets, nous sommes engagés dans la TNFD (Task Force on Nature-related Financial Disclosures), équivalent de la TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures) pour le climat. Cela implique la diffusion d’informations financières sur la préservation de la nature par le groupe. Aussi, de la même manière que le SBTi certifie les trajectoires climatiques, nous participons également à la phase pilote du SBTn, équivalent sur les enjeux liés à la nature.  

Le conseil d’administration a exprimé un désaccord sur la résolution climat déposée par nos 16 actionnaires, pas tant sur le fond mais plutôt sur la forme."

Une résolution climat déposée par certains de vos actionnaires a été rejetée lors de l’assemblée générale du 26 avril. Pourquoi ?

Cette coalition de 16 actionnaires, regroupée sous l'instance du Forum pour l'Investissement Responsable (FIR) et représentant environ 1,6 % du capital du groupe, a déposé une résolution demandant la modification des statuts de l'entreprise pour inclure la présentation de la stratégie climatique d'Engie tous les trois ans lors des assemblées générales, ainsi que la publication annuelle d'un rapport soumis à un vote chaque année sur la mise en œuvre de cette stratégie. Le conseil d’administration a exprimé un désaccord sur cette proposition, pas tant sur le fond que sur la forme, considérant que les statuts de l’entreprise n’étaient pas le lieu adéquat pour ce type de demande. Toutefois, nous avons beaucoup de sympathie avec l’idée sous-jacente qui est d’avancer encore plus loin sur la décarbonation de l’industrie. Nous avons donc répondu en nous engageant publiquement et solennellement à présenter une résolution sur la stratégie climatique tous les trois ans, ainsi qu'à intégrer à l'ordre du jour de chaque assemblée générale un point spécifique sur le climat, suivi d’un débat mais sans pour autant procéder à un vote annuel en l’absence d’une position de place sur cette question. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé ce 26 avril et c’était un moment très fort, avec un dialogue de grande qualité, où chacun a pu s’exprimer. Nous avons par ailleurs fait savoir à nos actionnaires que la manière dont ils nous avaient questionné nous avait fait progresser. Nous comprenons leur souhait et le partageons, et ils savent qu'ils peuvent compter sur nous pour aller le plus loin possible sur ces questions. 

Les entreprises sont de plus en plus poussées par leurs investisseurs sur ces sujets, la directive européenne évolue également en ce sens... Quel regard portez-vous sur ces changements ?

À titre personnel, je suis très enthousiaste quant à ces évolutions. Les choses évoluent rapidement et de manière significative. La future directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) va établir les nouvelles bases de la communication des performances extra-financières des entreprises et de la manière dont elles doivent rendre compte de celles-ci. Pour l’heure, il n'y a pas de normes définies mais il y en aura demain : chez Engie, nous attendons cela avec impatience. Actuellement, ce manque de standards représente une forme de complexité pour les entreprises qui communiquent publiquement un certain nombre d'indicateurs notamment demandés par les investisseurs, mais sans référentiel stabilisé permettant les comparaisons. Ces évolutions de réglementations peuvent donc potentiellement contribuer à une harmonisation de la communication extra-financière des entreprises qui devient nécessaire, même s’il est vrai que la mise en œuvre de ces textes demandera des moyens considérables. 

Notre direction RSE est en contact régulier avec les parties-prenantes : nous dialoguons beaucoup avec nos actionnaires qui ont une forme de légitimité sur ces sujets et deviennent eux-mêmes de plus en plus experts de la RSE. Notre échange du 26 avril en est la démonstration : nous avons considéré que la résolution climat déposée avait du sens et y avons répondu. Cette transparence leur a montré, je crois, que nous étions prêts à nous remettre en question et à confronter les chiffres et les faits à nos ambitions.  

Même si la mise en œuvre de la réglementation européenne est progressive, je pense que la hauteur de la marche n'est pas la même pour tous. Pour un enjeu aussi crucial que celui-ci, il est essentiel de garder tout le monde à bord."  

Quels peuvent être les freins subsistants à la mise en œuvre de ces exigences pour les entreprises ?

Pour une entreprise, la difficulté réside dans la capacité à définir les bonnes priorités et à allouer les ressources nécessaires à ces changements. La réglementation va nous aider à poursuivre la structuration de tous ces sujets. Chez Engie, nous avons depuis des années pris le virage des énergies vertes. Nous avons donc une longueur d'avance sur ces questions, car notre secteur d'activité impose depuis longtemps de placer ces enjeux en tête de l'agenda. Je pense que nous bénéficions d'une certaine antériorité et d'une maturité qui nous sont favorables. Cependant, la vigilance reste de mise quant à la signification de toutes ces nouvelles exigences réglementaires pour les entreprises de plus petite taille. Même si la mise en œuvre de la réglementation européenne est progressive, je pense que la 'hauteur de la marche ' n'est pas la même pour tous. Pour un enjeu aussi crucial que celui-ci, il est essentiel de garder tout le monde à bord. Je trouve ces évolutions très stimulantes, mais je n'oublie pas que notre responsabilité en tant que grand groupe est également d'aider les plus petites entreprises sur ce chemin. 

 

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