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Entretiens

Retrait de Total de Birmanie: "C'est aux investisseurs d’expliciter leur niveau d’exigence aux entreprises pour les faire évoluer"

Les compagnies d'énergie TotalEnergies et Chevron ont annoncé mi-janvier la fin de leurs activités en Birmanie, évoquant un contexte "qui ne cesse de se dégrader (...) en matière de droits humains et plus généralement d’Etat de droit". Anne-Claire Impériale, Responsable ESG et Engagement chez Sycomore AM, revient sur la situation et la campagne d'engagement menée en 2021 par une trentaine d'investisseurs. 

TotalEnergies a annoncé il y a quelques jours son retrait de Birmanie, évoquant notamment les demandes de "nombreuses parties prenantes", dont les investisseurs. Quelle a été l’action de ces derniers ?

Dans le cadre de l’exploitation du champ gazier de Yadana, TotalEnergies et Chevron sont partenaires de la compagnie nationale d’énergie Myanma Oil and Gas Entreprise (MOGE), qui est tombée sous la coupe de la junte militaire à l’origine du coup d’État de février 2021.

C’est réellement la problématique des droits humains qui a interpellé les investisseurs : toute notre action d’engagement a été initiée sur le souci que l’on avait quant à la responsabilité de Total dans le financement de la junte, qui oppresse la population depuis sa prise de pouvoir.

En coalition avec une trentaine d’autres actionnaires et accompagnés par l’organisation Heartland Initiative, nous avons adressé en 2021 deux lettres à TotalEnergies demandant notamment l’arrêt des flux financiers bénéficiant à la junte militaire. Nous avons également communiqué via la plateforme de dialogue et d’engagement actionnarial du Forum pour l’Investissement Responsable.

Le 21 janvier 2022, TotalEnergies a finalement annoncé la fin de ses activités Birmanie.  En tant qu’investisseurs, nous avons accueilli la nouvelle favorablement, décision alignée, selon nous, aux exigences du devoir de vigilance des sociétés mères.

Il faudra observer plus globalement ce que le groupe retire de cette expérience pour alimenter sa démarche de gestion des risques associés aux droits humains."

TotalEnergies reste exposé à des risques liés au droits humains, en particulier en Ouganda et au Mozambique. Comment envisagez-vous la suite ?

L’idée est de poursuivre cette action d’engagement, en restant notamment attentifs à la situation en Birmanie : comment TotalEnergies va-t-elle gérer la question du transfert de ses salariés, dont une grande majorité sont des locaux ? Dans quelles conditions sociales et de sécurité ?

Ensuite, il faudra observer plus globalement ce que le groupe retire de cette expérience pour alimenter sa démarche de gestion des risques associés aux droits humains. En 2016, il a publié un premier rapport sur les droits de l’Homme dans ses activités, mais il est essentiel de voir comment cela se traduit concrètement dans les décisions stratégiques et quelles sont les lignes rouges. Pour revenir sur l’exemple de la Birmanie, est-ce que nous n’aurions pas pu éviter plus tôt cette situation ? Nous allons continuer les échanges pour exprimer nos attentes et partager les meilleures pratiques.

Les problématiques liées aux droits humains occupent régulièrement la scène médiatique. En tant qu’investisseurs responsables, comment intégrez-vous cette thématique dans vos politiques ?

Nous avons publié en décembre 2020 une politique "Droits humains", et renforçons notre "due diligence" sur cette thématique en qualité d’investisseurs. À la suite des dénonciations de travail forcé des Ouïghours, nous avons cherché à identifier les entreprises en portefeuilles pouvant être exposées et en avons challengé certaines sur les moyens mis en œuvre pour limiter les risques.

Notre point d’attention pointe sur la façon dont les entreprises définissent leurs démarches responsables autour de ces thématiques, et sur la conformité entre ces politiques et les moyens et processus effectivement déployés pour réduire leur exposition aux risques.

L’exemple de TotalEnergies a montré qu’il est nécessaire que les investisseurs soient particulièrement avancés sur ces questions : ils ont les leviers pour faire évoluer les entreprises et doivent donc leur expliciter leur niveau d’exigence.