Ophélie Mortier, Responsable de la stratégie ISR chez Degroof Petercam AM.
©D.R
Entretiens

Transition écologique: "Les besoins en financements sont colossaux et l’investissement public ne suffira pas à les combler"

Ophélie Mortier, Responsible Investment Strategist chez Degroof Pertecam Asset Management, revient sur quelques grandes actualités de l’année 2021.

Quel est votre bilan de l’année 2021 ?

Je pense que l’ensemble du métier reconnaîtra l’attention considérable accordée à l’entrée en vigueur le 10 mars du règlement SFDR, accompagnée toutefois d’un certain flou autour des consignes données. S’il ne s’agit pas nécessairement d’une nouvelle donne, puisque le secteur financier a l’habitude de travailler avec une réglementation accrue, SDFR constitue clairement un game changer pour le business. D’une part parce qu’il demande plus de transparence aux acteurs, mais également parce qu’il a un impact clair sur la façon dont on classifie les produits. Cela demande plus de formalisme, notamment pour les classifications article 8 et article 9, avec parfois des difficultés pour les acteurs à gérer les avis et opinions divergentes entre les autorités de contrôle.

En matière d’investissement, nous avons continué à observer des flux importants en direction des fonds durables. Les investisseurs le demandent et la réglementation pousse leur distribution. Nous constatons déjà un impact sur les marchés, puisque les valeurs les plus recherchées sont chères aujourd’hui, et autant nous avons vu une surperformance des fonds durables l’année dernière, autant ces derniers ont été plus en ligne avec le reste du marché en 2021.

Certains acteurs, dont la Banque des règlements internationaux, se sont justement interrogés dernièrement sur la formation d’une potentielle "bulle verte". Un tel risque est-il à craindre selon vous ?

C’est un risque auquel les professionnels de la finance sont habitués. Cela ne signifie pas que l’on y échappe systématiquement, néanmoins il peut concerner n’importe quel actif. Existe-t-il selon nous un risque de bulle sur les actifs verts ? Non. Les valorisations resteront-elles élevées ? Oui. La demande est présente, la pression pour qu’elle augmente également, et il y a en sus tout un mouvement qui s’opère au niveau de l’offre.

En parallèle de SFDR, la directive sur les reportings non financier (NFRD) va évoluer en Corporate Sustainabilty Reporting Directive (CSRD) avec des conséquences tangibles pour l’ensemble du secteur économique, financier et non financier. Les dernières entreprises n’ayant pas encore pris conscience de l’importance des enjeux liés à l’ESG vont devoir rejoindre le mouvement et cette situation devrait contribuer à un approfondissement de l’univers éligible. Je ne pense donc pas qu’il y ait un risque de bulle, mais il faut surveiller de près les flux et les valorisations.

Il ne faut pas non plus oublier qu’à côté des "usual suspects", il existe toute une série d’entreprises n’étant pas forcément aujourd’hui considérées comme les plus "vertes", mais qui évoluent et contribuent au succès vert des acteurs en première ligne (les "enablers").

Enfin, certaines doivent comprendre que leur Core business est désormais en péril. Des entreprises comme TotalEnergies et Shell l’ont bien compris : si elles veulent continuer à opérer, une transformation complète de modèle doit être menée.

Ces différents acteurs sont autant de sources de diversification et d’opportunités et selon nous, c’est d’ailleurs sur ces sociétés qu’il y a le plus d’impact positif à générer. La difficulté aujourd’hui tient à la focalisation de la réglementation sur la situation actuelle des entreprises, qui ne nous permet pas de montrer que des acteurs problématiques aujourd’hui pourront être exemplaires demain.

Aujourd’hui encore, la donnée reste un sujet problématique. Qu’attendez-vous à l’avenir ?

La réglementation CSRD va augmenter sensiblement le périmètre des entreprises devant réaliser un rapport extra-financier. L’ensemble des indicateurs clés de performance que nous devons publier en tant qu’asset managers nous seront ainsi fournis par les entreprises.

En revanche, nous restons encore dans un contexte purement européen. Or les investisseurs aujourd’hui se limitent rarement à une seule zone géographique, et l’enjeu demeure pour les petites capitalisations et les autres régions.

Certes, des initiatives et taxonomies se développent à l’international, mais la grande question pour l’investisseur global est de savoir comment toutes ces classifications individuelles vont s’articuler entre elles. C’est pourquoi nous suivons avec attention le développement de critères standards par des organisations comme l’IFRS. Dans le monde financier, l’ensemble des acteurs savent comment calculer les revenus de manière normalisée : désormais il est impératif qu’il en soit de même lorsque l’on parle de durabilité.

Que retenez-vous des annonces faites à la COP26, notamment de la part des acteurs financiers ?

La COP26 a été l’occasion d’annonces très importantes, à commencer par l’engagement autour de la Net Zero Alliance. À l’échelle sectorielle, nous observons le désengagement progressif de certaines activités économiques, avec des impacts potentiellement très importants. Les engagements sur la réduction du méthane devraient par ailleurs avoir des conséquences considérables sur les activités économiques comme l’innovation agricole.

Au niveau plus global, cette COP était porteuses d’attentes considérables, mais celles-ci n’ont pas été satisfaites. Il subsiste notamment un manque important au niveau de l’aide financière apportée aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables, et cette situation devrait provoquer des tensions assez fortes entre marchés développés et marchés émergents.

La transition reste un facteur important d’opportunités…

La transition énergétique a un coût. Beaucoup de de chiffres sont avancés selon les objectifs poursuivis : 150 milliards de dollars d'ici 2030, 5 trillions par an en 2025…  Quel que soit le périmètre retenu, les besoins en matière de financements sont colossaux et l’investissement public seul ne suffira pas à les combler.

Concernant les secteurs, il y aura comme dans toute transition des gagnants et des perdants, et le défi de notre métier est d’identifier les acteurs appartenant à la première catégorie.

Quels sont vos points d’attention pour les prochains mois ?

La réglementation est volatile et nous pousse à rester très concentrés et actifs sur ces questions. Nous saluons l’évolution du cadre réglementaire et la multiplication des indicateurs et des métriques, mais il est nécessaire de rester prudents et d’analyser leur pertinence et leur fiabilité.