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En bref

La finance au défi de mieux prendre en compte la biodiversité

Comment rendre visibles les impacts des investissements sur la biodiversité ? Scientifiques et financiers tentent de trouver la bonne formule pour un indicateur clair, en s'inspirant de ce qui a déjà été fait avec le carbone.

Si plus de la moitié du produit intérieur brut mondial est "modérément ou hautement dépendant de la nature", selon le Forum économique mondial, les conséquences précises des investissements sur la nature sont beaucoup moins connues. Artificialisation des sols, pollution, déforestation… "La biodiversité est multidimensionnelle. Or, on ne peut pas juste multiplier les bases de données, mais il faut les agréger de manière pertinente et fiable", résume à l'AFP Marine de Bazelaire, conseillère capital naturel du groupe HSBC.

Le calcul n'est pas évident, mais les institutions financières s'y sont attelées pour une autre mesure, celle des émissions carbone, où des standards et des certifications ont vu le jour pour s'assurer de l'authenticité des objectifs annoncés par les entreprises pour la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Alors que l'accord de Paris de 2015 demande de rendre "les flux financiers compatibles" avec une trajectoire à faible émission de carbone, aucun engagement similaire n'est demandé pour la biodiversité. La COP15, dont la seconde partie se tiendra à Pékin en avril 2022, vise à établir le même principe pour la nature.

"Il faut donner une valeur à la nature mais décorrélée du prix qu'on en tire. C'est une défaillance de marché", poursuit Marine de Bazelaire. Les apports d'une forêt sont par exemple supérieurs aux revenus que les acteurs économiques peuvent en tirer, mais ces bénéfices ne sont aujourd'hui pas comptabilisés. Cette prise en compte a notamment été débattue lors du congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille en septembre.

La route est encore longue pour réussir à évaluer "la multiplicité des valeurs de la nature", a appuyé aussi dans un rapport pour l'ONG Green Finance Observatory Frédéric Hache, professeur à Sciences Po Paris spécialisé dans la finance durable. "Nous ne pouvons pas vivre sans la biodiversité et nous sommes proches de seuils irréversibles et critiques pour notre survie. Cela signifie que le coût réel de la destruction de biodiversité est infini", rappelle-t-il, estimant que les règlementations politiques sont plus efficaces que les solutions par les marchés.

Obligation en 2022

En France, la loi climat promulguée en 2019 oblige les sociétés de gestion de portefeuille à inclure dans leur bilan "une information sur les risques associés au changement climatique ainsi que sur les risques liés à la biodiversité". Le décret d'application, publié en mai 2021, demande une publication annuelle dans les six mois qui suivent la clôture de l'exercice.

Des premières solutions émergent, comme l'indicateur Global Biodiversity Score (GBS), mené par la Caisse des dépôts et consignations Biodiversité. "On cherche à la fois la robustesse scientifique, et des solutions opérationnelles pour les entreprises et donc les investisseurs", décrit Antoine Vallier, expert dans le développement d'indicateur de mesure d'empreinte carbone.

L'indicateur de la Caisse des dépôts prend en compte les impacts sur la biodiversité terrestre et aquatique en mesurant par exemple la "fragmentation des milieux naturels", ou encore le dépôt d'azote dans l'air. Schneider Electric, Solvay ou encore la Française des Jeux ont été parmi les premières à se lancer, en mai 2020. Les impacts en aval de la chaîne de valeur ou la pollution des océans ne sont pas encore mesurés.

"On sent aujourd'hui une vraie accélération. C'est aussi une opportunité commerciale, des acteurs misent sur l'appétence de clients pour ce type de placement", estime M. Vallier. Une dizaine de banques et fonds ont participé à l'élaboration du GBS, et la Banque Postale s'est par exemple engagée à mesurer l'impact biodiversité de ses fonds par ce moyen.

Au niveau mondial, les institutions financières se concertent au sein de la Taskforce on Nature Related Financial Disclosures (TNFD, groupe de travail sur les informations financières liées à la nature), répétant l'expérience du TCFD (Taskforce on Carbon Related Financial Disclosures) pour les émissions carbones. Elle doit publier son cadre opérationnel en 2023.

Avec AFP.