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L'ISR face à la crise (2/2) : facteurs de résilience

Les facteurs pouvant expliquer cette meilleure résistance dans la baisse sont multiples et dépendent en partie des approches retenues par les gérants de portefeuilles ESG.

L’un d’eux tient aux biais sectoriels généralement opérés par ces stratégies, à commencer par une sous-pondération des valeurs pétrolières. Or, "des secteurs comme l’énergie, l’industrie ou les matériaux ont été fortement pénalisés par l’effondrement des cours du baril et de la demande mondiale et les portefeuilles moins exposés à ces secteurs ont pu en profiter", commentait il y a quelques semaines Carmine de Franco, directeur de la recherche d’Ossiam, prévenant toutefois : "Il faut (...) garder à l’esprit que ces mêmes secteurs pourraient bénéficier également d’un éventuel rebond ensuite".


Cette ségrégation envers le secteur de l’énergie ne peut cependant pas expliquer à elle seule ces résultats, soutient BlackRock : "On a d’abord attribué la performance solide des fonds ESG à la sous-pondération relative des entreprises traditionnelles du secteur énergétique, dont les prix ont chuté plus fortement que le marché pendant la correction. Toutefois, nos recherches ainsi que celles conduites par des tierces parties démontrent que la sous-performance des secteurs énergétiques traditionnels n’explique qu’une fraction de la surperformance de plusieurs fonds ESG". "L'exclusion sectorielle a pu jouer un rôle dans la surperformance, mais il est important de noter que le secteur de l'énergie ne représente plus aujourd'hui que 5 % des indices, contre 12 % en 2008", renchérit Olivier Ken, gérant actions chez Ecofi. 


A contrario, une surexposition à des secteurs ayant particulièrement bien résisté pendant la période a également pu jouer un rôle. C’est naturellement le cas du secteur de la santé, mais également des valeurs technologiques, qui ont bénéficié à la fois d’une demande forte en faveur de leurs produits et services en période de confinement, mais également souvent d’une meilleure agilité, ayant permis une réorganisation rapide de leur façon de travailler pour continuer à opérer.





Performances sectorielles, S&P500

 

S&P500 Energy

S&P500 Information Technology

S&P500 Health Care

S&P500

Perf. 1e janv-23 mars

-60%

-24,41%

-26,89 %

-31,32%

Perf. 1e janv- 5 juin

-27 %

+ 8,66 %

+0,84%

-1,96 %

"La technologie sera sans doute le principal secteur à bénéficier de la crise", prévoyait d’ailleurs début avril Nadège Dufossé, responsable de l'allocation d'actifs chez Candriam. Début juin, le NASDAQ affichait ainsi + 11 % par rapport au début de l’année, contre -1,2 % pour le S&P500.


Au-delà des biais sectoriels, les gérants insistent en particulier sur la qualité des valeurs composants les fonds ESG, à commencer par leur bonne santé financière et leur robustesse. "Ces stratégies affichent des biais de style sur les grandes capitalisations, sur les entreprises dites de ’qualité’ (qui se caractérisent par leur solidité bilantielle) et sur les titres de moindre volatilité, trois facteurs de soutien quand les marchés sont chahutés", argumente ainsi François Millet, responsable Stratégie, ESG & Innovation, Lyxor ETF. "Nous observons que les entreprises dotées des meilleurs profils ESG sont majoritairement des entreprises de qualité avec des bilans solides. Le risque de liquidité, élevé durant cette période, a donc poussé le marché à plébisciter ces sociétés, perçues comme des valeurs refuges", résume La Financière de l’Échiquier (LFDE) dans son étude.


Par construction, les fonds ESG tendent à surpondérer les secteurs qui ont mieux résisté à la crise comme la santé, la technologie, et à sous-pondérer les secteurs plus impactés comme le transport, l’énergie, les matériaux etc., Amundi


En outre, des stratégies RSE solides ont également pu permettre à ces entreprises, qui n'ont pas pour autant nécessairement anticipé la crise, de mieux identifier certains risques et d’être mieux préparées face à des événements imprévus. "La bonne identification et la gestion des risques extra-financiers, qui caractérisent les entreprises responsables, sont essentielles dans le cadre d’une crise sanitaire : la protection des salariés et des clients permet à ces entreprises de rebondir plus rapidement et de manière pérenne", poursuit ainsi LFDE.


D’ailleurs, la bonne gestion du capital humain (et donc du critère "S" de ESG) revient régulièrement parmi les facteurs de résilience invoqués par les gérants. Outre la valorisation des salariés, qui a pu permettre un engagement et une agilité plus forts de la part de ces derniers pendant la crise, l’accompagnement des parties prenantes a également eu son importance, commente Cesare Vitali : "Il est indéniable que les sociétés ayant développé des politiques de responsabilité sociale depuis plusieurs années ont mieux géré les difficultés, sont plus résilientes. Elles profitent du fait d'avoir développé des relations solides avec leurs parties prenantes, permettant par exemple de sécuriser les chaînes d'approvisionnement". Le maintien de leur écosystème pourrait en outre entraîner une meilleure capacité à rebondir et à gagner des parts de marché, projette Frédéric Ponchon, gérant chez Sycomore AM.


Il y a une corrélation assez marquée entre les entreprises qui mettent les enjeux du développement durable au cœur de leur stratégie et le facteur ‘qualité’. Et de façon générale les situations de crise, qu’elles soient sanitaires, humaines, environnementales, sont des révélateurs de la qualité de ces stratégies, Hervé Guez


"Notre conviction est que les émetteurs réussissent à long terme, et génèrent des rendements pour les actionnaires lorsqu'ils créent de la valeur pour toutes les parties prenantes - employés, clients, fournisseurs, environnement et société. Lorsque des crises comme celles de la Covid-19 se manifestent, en particulier avec des causes et des implications sociales et environnementales, les investisseurs peuvent voir l'ESG comme une caractéristique défensive », conclut de son côté HSBC dans sa propre étude consacrée au sujet.


Enfin, la conviction des investisseurs responsables serait également basée sur des visions plus long terme, pointent plusieurs acteurs, rendant généralement ces derniers moins enclins à vendre en période de re- mous. "Les investisseurs responsables ont généralement une vision d’accompagnement et de support, parce qu’ils ont sélectionné des entreprises dont ils ont identifié les risques", commente Christophe Revelli, professeur et Directeur du MSc Sustainable Finance à KEDGE.


Résultat, "il y a une croyance et une confiance dans ce style de gestion et les investisseurs ne liquident pas leur portefeuille pendant les chocs de volatilité". "Si les investisseurs avec des horizons courts et des besoins de liquidité élevés se positionnent sur les ETFs actions conventionnels, qui présentent des volumes traités plus importants et une plus grande liquidité, ceci pourrait expliquer un désinvestissement massif de ces fonds lors des crises, tandis que les investisseurs avec un horizon plus long restent investis dans les fonds ESG", observent également les experts d’Amundi.


D’un autre côté, les investisseurs ont également pu profiter de l’épisode pour se positionner sur des fonds ESG afin d’anticiper les prochaines échéances réglementaires, mais également s’inscrire dans un contexte de forte demande sociétale. Les chiffres de collecte relevés par les différents acteurs semblent en tout cas confirmer l’appétence pour l’investissement responsable. "Les flux cumulés restent en progression sur toute la période de crise, alors que des ventes massives se sont produites à la même période sur les ETFs actions traditionnels lors de la première phase du confinement en Italie, y compris pour les ETFs spécialisés sur des secteurs peu exposés comme la technologie ou dans une moindre mesure la santé", indique Amundi, une tendance aussi soulignée par Bank of America et BlackRock : "Cette résilience s’est également appuyée, durant la crise, sur la préférence des investisseurs pour les actifs durables. Désireux de rééquilibrer leurs portefeuilles dans un contexte extrêmement volatil, les investisseurs préfèrent de plus en plus les fonds durables aux fonds traditionnels. Au premier trimestre 2020, les fonds ouverts durables (fonds communs et ETF) ont collecté 40,5 milliards de dollars (soit une augmentation de 41 % par rapport à l’année précédente). Aux Etats-Unis, les fonds durables ont collecté un montant record de 7,3 milliards de dollars au premier trimestre."


"La crise du COVID-19 marque l'enclenchement d'une spirale vertueuse : les investisseurs adhèrent à la thèse de la durabilité puis orientent leurs capitaux en direction des entreprises durables identifiées comme telles par la notation ESG, premier outil mis à leur disposition dans ce domaine. Ces flux acheteurs font monter les cours et installent la surperformance des entre- prises les mieux notées. Ainsi, la crise de la COVID-19 marque de facto l’avènement de la finance responsable comme instrument de protection des investissements", veut croire Vincent Auriac, président d’Axylia.



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