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Analyses

L’impact, la nouvelle frontière de l’ISR

Jusqu’ici circonscrit au private equity, l’impact s’invite désormais dans l’investissement coté. Mais pour que cette philosophie ne se résume pas à de beaux reportings, les sociétés de gestion doivent sortir de la simple analyse ESG et faire de leurs investissements de véritables outils de changement.

C’est un terme qui s’invite de plus en plus régulièrement dans le vocabulaire des sociétés de gestion. Si la notion d’impact suggère que l’investissement est plus qu’une transaction financière et qu’il fait vraiment bouger les lignes, il est néanmoins associé à une philosophie différente de celle promue par l’investissement socialement responsable (ISR). Pour se rendre compte du fossé qui sépare les deux approches, il suffit de regarder les chiffres : selon le Global Impact Investing Network (GIIN), l’investissement d’impact pèse aujourd’hui 715 milliards de dollars dans le monde. L’ISR pèse quarante fois plus lourd, avec 30,7 trillions de dollars mobilisés dans le monde. Ces chiffres datant de 2018, l’écart pourrait être encore plus important aujourd’hui.

Les objectifs sociaux en première ligne

Ce sont avant tout leurs ambitions qui différencient ces deux approches. Le premier objectif de l’ISR reste d’obtenir un rendement, en appliquant, certes, une méthode de sélection des entreprises sur la base de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). L’investissement d’impact a une volonté de transformer, non pas seulement l’entreprise mais la société. Il "allie explicitement retour social et retour financier sur investissement", selon la définition publiée en 2014 par le Comité français sur l'investissement à impact social, qui rappelle également que ce type d’investissement peut viser des niveaux de rémunération s’étendant de l’absence de rémunération à des rendements proches du marché. "L’impact peut avoir un coût, et donc entrer en conflit avec un rapport financier", abonde Thierry Sibieude, professeur titulaire de la Chaire d'entrepreneuriat social à l’Essec. Le premier élément déterminant pour "faire" de l’impact est l’intentionnalité, c’est-à-dire qu’atteindre un objectif social doit être l’ambition première de l’investissement. Le deuxième est l’additionnalité, qui implique que si l’investissement n’avait pas été fait, les objectifs n’auraient pas été atteints par d’autres moyens. Autrement dit, l’impact ne doit pas être "une conséquence heureuse", souligne Thierry Sibieude. Dernier point et non des moindres, l’impact doit être mesuré.

Les ODD, boussole de l’impact

La façon de mesurer l’impact concentre la majorité des travaux publiés sur ce type d’investissement, mais aucun consensus n’a émergé au niveau mondial, malgré les efforts du GIIN ou de l’Impact Management Project. "La mesure de ce qu’on entend par impact social et environnemental positif n’est pas normée et manque d’outils concrets de mesure", confirme Hervé Guez, directeur des gestions actions et taux chez Mirova, qui souligne que les rapports des entreprises sont encore souvent parcellaires.

Un seul standard a aujourd’hui su s’imposer auprès des investisseurs : les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Mirova fait partie des sociétés de gestion qui les utilisent : "Les ODD nous permettent de répondre à la question suivante : le sous-jacent économique que l’on finance répond-il positivement ou négativement à des objectifs de développement durable ?", explique Hervé Guez. Ce standard est également utilisé par Aviva, qui a intégré en 2019 un fonds d’impact dans les unités de compte proposées dans le cadre de ses contrats d’assurance-vie. Les ODD servent de cadre pour définir des indicateurs plus précis, propres à chaque entreprise. "La mesure est clé pour estimer l’impact positif d’une entreprise mais aussi intégrer les externalités négatives", souligne Philippe Taffin, directeur des investissements au sein d’Aviva France.

L’engagement actionnarial, un levier fort

Tous les secteurs d’activité peuvent virtuellement entrer dans la catégorie de l’investissement d’impact, de même que tous les types de modèles économiques. Virtuellement, car dans les faits, certains secteurs et types d’entreprises concentrent ces investissements, comme les entreprises à mission ou les entreprises de l’économie sociale et solidaire.

"Ce qui est aujourd’hui proposé dans les poches solidaires des fonds 90/10 se rapproche de l’impact. La même philosophie, en ajustant les proportions, pourrait être choisie pour les fonds cotés à impact", estime Thierry Sibieude. C’est ce modèle qu’a adopté Aviva avec son fonds La Fabrique Impact ISR, qui propose une poche de 10 % investie en non coté et une poche de 90 % investie dans des petites et moyennes entreprises cotées européennes, avec pour objectif de créer des emplois.

"Toute entreprise peut faire de l’impact, cotée ou non, mais sa mise en application est plus difficile sur les actions cotées car elle exige une véritable révolution culturelle", explique Philippe Taffin. La philosophie de l’impact se retrouve néanmoins en partie dans l’ISR à travers l’engagement. Celui-ci prend principalement deux formes : l’exercice des droits de vote aux assemblées générales des entreprises dont les sociétés de gestion sont actionnaires, ainsi que le dialogue actionnarial. "Quand on fait de l’engagement, on veut faire changer les choses de l’intérieur", souligne Hervé Guez.

En mai 2020, onze investisseurs parmi lesquels La Banque Postale Asset Management, Crédit Mutuel ou encore Meeschaert Asset Management ont fait une démonstration très médiatisée de ce que pouvait être cet engage- ment, en portant une résolution pour contraindre Total à des objectifs climatiques plus ambitieux. Si la résolution a finalement été rejetée, elle a le mérite d’avoir mis le sujet du climat au coeur du dialogue actionnarial avec l’entreprise.

La révolution de l’analyse ESG

L’impact fait aussi bouger les lignes du côté de l’analyse extra-financière et impose peu à peu sa philosophie. "L’analyse en cycle de vie, qui prend en compte les fournisseurs, les process de production mais aussi l’impact des produits vendus s’impose de plus en plus », notamment au sein des agences de notation extra-financières, remarque Hervé Guez. Les sociétés de gestion sont aussi nombreuses à publier des rapports d’impact, qui mettent en avant des indicateurs précis.

Par exemple, La Financière de l’Echiquier a estimé qu’un million d’euros investis dans son fonds coté Echiquier Positive Impact Europe en 2019 a contribué à la prise en charge médicale de 1.489 patients, ainsi qu’à 186 tonnes de CO2 évitées grâce à la production d’énergies renouvelables ou l’amélioration de l’efficacité énergétique. CPR AM a également joué le jeu pour son fonds Education. Un million d’euros investis dans ce fonds a permis en 2019 la formation d’une centaine d’élèves pour près de 30.000 heures de cours dispensés, dont 76% dans les pays émergents.

"La révolution de l’ESG, c’est l’impact qui va la faire », assure pour sa part Philippe Taffin, pour qui les deux approches sont vouées à devenir indissociables. Les clients des sociétés de gestion sont aussi de plus en plus demandeurs d’indicateurs précis, notamment les institutionnels qui souhaitent pouvoir rendre compte à leurs assurés ou leurs retraités de l’utilisation faite de leur épargne. "Beaucoup d’acteurs sont aujourd’hui prêts à se mobiliser", se félicite Thierry Sibieude, qui conclut : "Il y a beaucoup de progrès, mais aussi beaucoup de travail à faire pour que l’impact ne soit pas cosmétique, mais bien une approche qui touche le core business de l’entreprise."

L’impact et le financement participatif

Traditionnellement pratiqué dans le private equity, l’investissement d’impact est une démarche qui a naturellement été adoptée par certaines plate-formes de financement participatif. Le crowdfunding se prête à l’exercice, puisqu’il concerne souvent de petites et moyennes entreprises qui souhaitent financer un projet spécifique, auquel peuvent être associés des objectifs précis : développer une filière locale, faire la transition vers le bio d’une production agricole, installer des éoliennes ou des panneaux solaires pour produire de l’énergie renouvelable, aider à l’insertion... Certaines plate-formes mettent explicitement en avant la logique d’impact, comme Lita.co, qui a choisi d’associer systématiquement les entreprises qu’elle finance à un ou plusieurs ODD, et qui permet aux investisseurs de trier les projets à financer en fonction de ces objectifs. C’est également le cas de Sowefund, qui a créé une rubrique dédiée à l’impact qui associe également les projets à financer à un ODD. Pour sa part, WeDoGood a choisi de mettre en avant certaines thématiques, comme la qualité de l’air ou l’objectif "zéro pesticide", qui permettent d’associer les investissements à des objectifs précis.

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