Ilian Moundib, ingénieur en résilience climatique et membre du conseil scientifique de l'Institut Rousseau.
© DR/ Agence Mooxy
Inspirations

Ilian Moundib : "La résilience climatique, c’est tomber, se relever, se protéger et surtout se transformer"

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Dans "S’adapter au changement climatique, fake or not ?", l’ingénieur en résilience climatique, Ilian Moundib examine les conséquences du réchauffement climatique et les solutions politiques qui sont aujourd'hui apportées pour y faire face. Riche de ces enseignements, il invite à repenser d’urgence nos manières de "produire, d’échanger et de consommer" tout en livrant plusieurs préconisations pour y parvenir. Entretien. 

Alors que le gouvernement a dévoilé en octobre dernier son troisième Plan d’adaptation national au changement climatique – basé notamment sur une trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) à +2,7°C en 2050 et +4°C en 2100, Ilian Moundib, ingénieur en résilience climatique et membre du think tank l’Institut Rousseau, questionne les réponses apportées ces dernières années par les pouvoirs publics pour endiguer le changement climatique dans son dernier livre : S’adapter au changement climatique, fake or not ?.

"S'adapter au changement climatique, fake or not ?", aux éditions Tana.
© Editions Tana

Dans cet essai graphique - publié aux éditions Tana le 7 novembre dernier, le spécialiste donne à voir et à comprendre les enjeux actuels et futurs liés au réchauffement climatique. Il propose aussi sa vision de l’adaptation, reposant notamment sur "une mise en sécurité sociale de nos besoins vitaux". Interview. 

A qui souhaitez-vous adresser votre livre ? 

Cet essai, c’est un message à tous ceux qui sont dégoûtés, inquiets, sidérés par le contexte géopolitique, et la réponse qui peut en être fait par les pouvoirs publics. Je pense notamment à l’élection de Donald Trump, et le fait que l’on se dirige toujours vers un réchauffement climatique à +3°C au niveau mondial.  

Selon vous, qu’est-ce qui fait défaut aujourd’hui dans l’adaptation au changement climatique ? 

Il y a un défaut d’information dans la politique publique sur l’interprétation des résultats du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), que je trouve par ailleurs trop optimistes, ou du moins dimensionnés sur les grandes valeurs de risque. Cette façon de faire masque les risques d’emballements climatiques, qui pourraient par exemple être provoqués par la fonte du permafrost ou la déforestation. Ainsi, rien ne garantit que nous nous arrêtions à +4°C en France – l'objectif fixé par le gouvernement dans son dernier plan. 

Par ailleurs, il est plus question aujourd'hui de maintenir le plus longtemps possible le "business as usual" pour lui laisser le temps de se transformer et de s’adapter, et ce grâce à des fonds publics. Résultat, on ne cesse de réparer au lieu d’investir dans l’adaptation. 

Dans votre livre, vous martelez que la "dérive climatique est irréversible". Pourquoi cette notion est-elle fondamentale d’après vous ? 

Il faut comprendre que si demain matin nous n'émettons plus un gramme de carbone, certes, le réchauffement climatique s’arrêtera, mais cela ne signifie pas pour autant que nous reviendrons en arrière. Nous resterons à une élévation de températures autour de 1,5°C - un ordre de grandeur qui favorise le déclenchement d’extrêmes climatiques inédits, comme ceux que l’on a pu observer récemment à Valence, en Espagne.  

Cette irréversibilité doit nous pousser à modifier durablement notre façon de produire, de nous organiser ou encore d’aménager notre territoire..."

Vous appelez à "construire notre résilience climatique", plutôt qu’à "nous adapter". Qu'entendez-vous par cette distinction sémantique ? 

Le terme d’adaptation - tel qu’employé aujourd’hui, ne prend pas suffisamment en compte la notion de transformation. Si je l'illustre de manière imagée, je dirais qu'on fait du vélo sur une route avec des trous et des bosses, on tombe, on se relève, on met des protections et on continue. Tout ce qu'on fait, c’est faire en sorte d’avoir moins mal la prochaine fois qu'on tombera.

Alors que la résilience climatique, c’est tomber, se relever, se protéger et surtout se transformer. Par exemple, descendre du vélo et faire autre chose, comme marcher plus lentement pour ne pas subir le terrain accidenté. En résumé, c’est prendre appui sur les crises pour se transformer. 

Dans votre livre, vous expliquez que cette résilience pourrait notamment se matérialiser à travers "une mise en sécurité sociale des communs et des besoins". De quoi s’agit-il concrètement ? 

Pris dans le contexte de l’effondrement global du dépassement prolongé des frontières planétaires, le changement climatique va provoquer une destruction progressive des réseaux qui nous permettent d’accéder à nos besoins vitaux, en Europe et dans le monde entier. Cela va avoir des conséquences sur notre production alimentaire, notre accès à l’eau...

Dès lors, il faudrait formuler l’adaptation autour de la puissance économique et sociale des besoins et des communs, c’est-à-dire remettre dans le giron de la sécurité sociale tout ce qui va de l’intérêt général : la santé mais aussi l’alimentation."

Cette mise en sécurité sociale des communs, amenés à se raréfier, permettrait ainsi d’organiser leur protection. Pour simplifier, c’est construire ce que l’on appelle "l’économie du Donut", c’est-à-dire avoir un plancher social, une mise en commun de tout ce qui permet à chacun et chacune d'avoir accès à un minimum de ressources, et donc de vivre une vie digne.