Skipper ayant arpenté les mers du monde entier, Victorien Erussard a décidé de concevoir un navire zéro émission.
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7 ans en mer à bord d'un navire zéro émission : le pari réussi de ce skipper engagé

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Skipper ayant arpenté les mers du monde entier, Victorien Erussard a décidé de relever un défi inédit, porté par son engagement pour la transition écologique : concevoir un navire zéro émission. À bord d’Energy Observer, il a parcouru le globe pour explorer des solutions énergétiques durables et réinventer le transport maritime. ID l’a rencontré.

Né à Saint-Malo, au cœur d’une famille de marins, Victorien Erussard a toujours été animé par une passion profonde pour l’océan. Skipper de talent, il a participé à des courses prestigieuses telles que la Route du Rhum et la Transat Jacques Vabre. C’est d’ailleurs lors de cette dernière, en 2013, qu’il vit un véritable électrochoc : en plein Atlantique, entre le Cap-Vert et le Brésil, une panne d’énergie immobilise son bateau. Entouré de vent, de soleil et de vagues, il prend alors conscience que ces ressources naturelles, omniprésentes, ne sont pas exploitées pour répondre aux besoins énergétiques à bord. 

Cette prise de conscience le mène à créer Energy Observer, le premier navire zéro émission, conçu comme un véritable laboratoire flottant de la transition énergétique. Après sept années de navigation autour du monde, il a fait une pause chez lui, à Saint-Malo, pour poursuivre sa mission et préparer la suite. ID l’a rencontré pour évoquer son parcours, ses projets et l’avenir qu’il imagine pour un monde maritime durable.

Après avoir parcouru 126 000 km et réalisé 101 escales, quels enseignements tirez-vous sur la fiabilité et la durabilité des systèmes énergétiques utilisés à bord d’Energy Observer ?

Naviguer sur tous les mers et océans avec une architecture énergétique aussi novatrice représentait un défi majeur, d’autant plus dans un secteur aussi exigeant que le maritime. La maîtrise des technologies hydrogène dans cet environnement spécifique, soumis aux contraintes de la mer, est déjà une avancée majeure. Nous avons démontré qu’un système embarqué de production et de stockage d’hydrogène pouvait fonctionner sur un navire en conditions réelles, avec les défis que cela implique en matière de fiabilité, d’intégration et d’exploitation au quotidien.

Cette expérience nous a permis d’identifier les solutions les plus prometteuses et d’accélérer leur adoption pour accompagner la transition énergétique du transport maritime.

Mais l’originalité d’Energy Observer va bien au-delà de l’hydrogène. C’est un véritable mix énergétique qui a été expérimenté et validé. Le photovoltaïque, par exemple, s’est révélé extrêmement performant et totalement justifié pour ce type de navire. Il a démontré que, même en mer, l’énergie solaire peut être un levier clé pour l’autonomie énergétique.

Autre avancée majeure : les ailes de propulsion vélique automatisées. Nous avons pu tester et valider la faisabilité technique d’un système de gréement entièrement automatisé, autonome et autoporté. Ce type de technologie est une solution évidente pour les navires de commerce, qui devront réduire leur consommation énergétique dans un contexte où produire des carburants propres à un coût compétitif face aux énergies fossiles sera un défi majeur.

Au-delà de la démonstration technologique, Energy Observer a prouvé que l’avenir du maritime réside dans la combinaison des énergies et l’innovation continue. Cette expérience nous a permis d’identifier les solutions les plus prometteuses et d’accélérer leur adoption pour accompagner la transition énergétique du transport maritime.

Durant ces sept années, quel a été le plus grand défi technique ou humain auquel vous avez dû faire face à bord d’Energy Observer ?

Energy Observer est avant tout une aventure humaine et technologique exceptionnelle, portée par un travail collectif.

Initialement prévue pour six ans, notre odyssée a finalement duré sept ans, en grande partie à cause de la pandémie de la COVID-19. Cette situation nous a particulièrement contraints, car à mesure que nous avancions vers l’Ouest, les règles sanitaires des pays visités se renforçaient, bouleversant continuellement notre programme. Nous avons dû ajuster non seulement notre itinéraire, mais aussi l’organisation des escales et des reportages, souvent modifiés, reportés ou annulés. Cette adaptation permanente a mis nos équipes et nos technologies embarquées à rude épreuve, bien au-delà des durées de vie prévues par leurs fabricants.

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Mais au-delà des défis techniques, ce que je retiens surtout, ce sont les rencontres extraordinaires qui ont marqué cette expédition. Plus de 20 000 personnes ont eu l’opportunité de monter à bord pour découvrir notre navire et son laboratoire énergétique, et près de 400 000 visiteurs ont été sensibilisés à la transition énergétique grâce à notre village d’exposition itinérant.

Cette aventure a prouvé que l’innovation ne se limite pas aux technologies : elle repose aussi sur l’adaptabilité, la résilience et le partage. C’est aussi en faisant prospérer de telles valeurs que l’on pourra accélérer la transformation énergétique nécessaire pour atteindre le Net Zéro d’ici 2050.

Pour aller encore plus loin dans la décarbonation du transport maritime, vous avez lancé le projet Energy Observer 2. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce nouveau navire et les avancées technologiques et environnementales que vous visez à travers lui ?

Energy Observer, via sa filiale EOConcept, pionnière des solutions maritimes durables, a lancé en 2022 le projet Energy Observer 2 (EO2) avec une ambition claire : créer le navire de charge le plus bas carbone au monde.

EO2 est un démonstrateur avant-gardiste, associant ingénierie de pointe et technologies de rupture pour accélérer la transition du transport maritime vers des solutions à faibles émissions. Ce projet s’inscrit dans une démarche proactive face aux défis climatiques du secteur, en phase avec la Stratégie révisée de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) et le paquet législatif "Fit for 55" de l’Union européenne.

Avec une capacité de 1 100 conteneurs EVP, une autonomie de 14 jours et un rayon d’action de 1 800 milles nautiques, EO2 sera propulsé par 4,8 MW de piles à combustible, démontrant ainsi l’efficacité de l’hydrogène liquide comme carburant maritime.

Mais l’ambition d’Energy Observer 2 dépasse la seule construction du navire. L’objectif est aussi de développer un écosystème hydrogène intégré, permettant de réduire le coût global de l’hydrogène liquide et d’accélérer son adoption dans le transport maritime.

Mais cette adoption nécessite des avancées majeures dans la chaîne d’approvisionnement et de stockage. Energy Observer 2 ambitionne de relever ces défis en développant des réservoirs LH2 adaptés et en mettant en place des infrastructures de soutage efficientes. En parallèle, EODev, autre filiale d’Energy Observer, mène des efforts de R&D (Recherche & Développement) pour optimiser la performance et la sécurité des systèmes de piles à combustible marinisés.

EO2 incarne ainsi une vision pragmatique et ambitieuse : démontrer que le fret maritime zéro émission est possible, en combinant innovation technologique et adaptation industrielle.

La mise en service d’Energy Observer II est prévue pour 2029. Quelles sont les grandes étapes du projet d’ici là ?

Sélectionné parmi les 85 projets lauréats du plus grand appel à projets du Fonds pour l'Innovation de l'Union européenne, Energy Observer 2 (EO2) bénéficie d’un soutien financier de 40 millions d’euros. Ce financement marque une étape décisive vers sa construction et son exploitation d’ici 2029.

D’ici là, plusieurs phases clés jalonneront le développement du projet :

  • 2024-2025 : Études d’ingénierie et validation technologique : EOConcept pilote l’ingénierie détaillée du navire, en partenariat avec des acteurs industriels majeurs, afin de finaliser la conception des réservoirs LH2 et des systèmes de propulsion.
     
  • 2026-2027 : Lancement de la construction et mise en place des infrastructures : Le chantier de construction débutera, en parallèle du développement des infrastructures portuaires de soutage en hydrogène liquide.
     
  • 2028 : Phase de tests et essais en mer : EO2 effectuera une série d’essais pour valider la performance de ses technologies en conditions réelles.
     
  • 2029 : Mise en service et première exploitation commerciale : EO2 entrera en exploitation, démontrant la faisabilité du transport maritime à l’hydrogène liquide à grande échelle.

Mais l’ambition d’Energy Observer 2 dépasse la seule construction du navire. L’objectif est aussi de développer un écosystème hydrogène intégré, permettant de réduire le coût global de l’hydrogène liquide et d’accélérer son adoption dans le transport maritime. Cela passe par la mise en place d’un hub énergétique maritime bas carbone, associant production d’hydrogène bas carbone et infrastructures portuaires adaptées.

EO2 n’est pas seulement un navire, c’est un levier stratégique pour transformer le secteur maritime et rendre l’hydrogène liquide compétitif face aux énergies fossiles.

Vous avez mentionné le fait que transition énergétique et pétrole devront encore coexister pendant quelques décennies. Quel rôle Energy Observer 2 peut-il jouer dans cette phase intermédiaire ?

Il faut être pragmatique : les énergies fossiles dominent encore 80 % du mix énergétique mondial, et la demande en énergie continue de croître avec l’essor du commerce maritime et des flux logistiques internationaux. Une transition ne se décrète pas, elle se construit avec les acteurs en place, et c’est pourquoi il est essentiel que l’industrie fossile elle-même contribue à cette mutation.

L’histoire nous montre que les grandes révolutions énergétiques ne remplacent pas instantanément les précédentes, mais les transforment progressivement. Le charbon n’a pas disparu avec le pétrole, et ce dernier coexiste encore avec l’électricité et le gaz. L’enjeu aujourd’hui n’est pas d’opposer les énergies, mais de structurer une transition efficace, où l’industrie fossile a un rôle à jouer pour investir et accompagner les mutations technologiques.

Energy Observer 2 et 3 ne sont pas des concepts, mais des étapes concrètes pour transformer progressivement le transport maritime, en trouvant des solutions adaptées aux réalités industrielles et économiques.

C’est dans cette dynamique qu’Energy Observer 2 s’inscrit : un démonstrateur industriel conçu pour réduire drastiquement l’empreinte carbone du fret maritime grâce à l’hydrogène bas carbone et des systèmes de propulsion innovants. Mais l’ambition ne s’arrête pas là : nous savons que d’autres solutions devront être développées en parallèle pour répondre aux défis de la décarbonation du transport maritime.

C’est pourquoi nous lançons Energy Observer 3, un nouveau catamaran laboratoire qui se rapproche de la taille et du programme du premier Energy Observer, mais avec une approche énergétique complémentaire à EO2. L’objectif est de continuer à explorer toutes les technologies et solutions énergétiques bas carbone, des nouveaux carburants alternatifs aux systèmes énergétiques avancés, pour accompagner la transition maritime et préparer l’avenir.

Energy Observer 2 et 3 ne sont pas des concepts, mais des étapes concrètes pour transformer progressivement le transport maritime, en trouvant des solutions adaptées aux réalités industrielles et économiques.