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La finance de demain sera verte ou ne sera pas

Dans une période de fortes incertitudes, les professionnels de la finance semblent être certains d’une chose : la finance durable sortira renforcée de la crise. Entre recherche de sens et émergence de nouvelles priorités, les visions des consommateurs, épargnants, salariés, entreprises et investisseurs s’entrecroisent dans un ballet synchronisé. Qui pointe vers un avenir socialement responsable.

À quoi ressemblera le monde d’après ? Si personne ne peut se targuer de prédire le futur, les professionnels de la finance semblent tous privilégier un même scénario : celui de la poursuite d’une tendance de fond qui sera plus forte que la crise, et peut-être même renforcée par elle, à savoir la lutte contre le dérèglement climatique et la recherche d’une économie plus durable. "Il y avait déjà une prise de conscience, mais le confinement, en bouleversant nos méthodes de travail et nos habitudes de consommation, va sûrement jouer le rôle d’accélérateur de la finance durable", explique Julien Séraqui, président de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP). Au-delà de montrer la bonne résilience des placements responsables, la crise de la Covid-19 a permis de remettre certaines questions sur la table : le sens du travail, la vie urbaine, les transports, le rythme de vie sont autant de problématiques qui sont devenues de véritables sujets de réflexion dans lesquels chacun a pu explorer ses priorités, à la fois comme citoyen, consommateur et épargnant.

L’utilité sociale de l’entreprise

"L’une des forces de la finance durable, c’est d’apporter de nouveaux angles d’analyse, note Laurent Jacquier-Laforge, global head of sustainable investing au sein du groupe La Française. Elle permet de penser l’entreprise dans son écosystème, de prendre en compte l’ensemble de ses interdépendances, qu’il s’agisse de ses fournisseurs, ses clients, ses distributeurs." Ce travail, Sycomore Asset Management en est familier. La société de gestion a développé son propre système d’analyse extra-financière, qui s’articule autour des différentes parties prenantes de l’entreprise : SPICE, pour society & suppliers, people, investors, clients, environment. "On voit bien que les sociétés dont l’utilité sociale est réelle passent mieux la crise, remarque Anne-Claire Impériale, coresponsable de la recherche ESG au sein de Sycomore Asset Management." C’est particulièrement visible au sein des entreprises qui ont la confiance de leurs collaborateurs. Ces entreprises vont être plus agiles et résilientes, ce qui va être un facteur important d’attractivité dans un contexte où la recherche de sens au travail, déjà très présente au sein des jeunes générations, s'accroît.

40% des clients des CGP s’inquiètent peu ou pas des effets de la crise sanitaire sur leur patrimoine (sondage CNCGP)

Une confiance retrouvée dans le système financier

L’agilité va certainement être une qualité indispensable pour résister dans les années à venir, qui pourraient bien être mouvementées, selon Laurent Jacquier-Laforge : "Nous pensons que ce n’est pas une
ligne droite qui nous attend mais plutôt le franchissement de marches, marquées par des crises fortes, dont la fréquence pourrait augmenter." La précédente crise majeure est d’ailleurs encore dans les esprits. Mais en 2008, la situation était bien différente. Le système financier, qui était à l’époque le principal responsable de la crise, est aujourd’hui une partie de la solution et se pose en soutien indéfectible d’une économie dégradée. Cette différence, les conseils en gestion de patrimoine l’ont bien ressentie. "Les CGP vont sortir renforcés de cette crise car ils ont su montrer la pertinence de leur conseil et leur capacité à être présents pour leurs clients", affirme Julien Séraqui. Pour le président de la CNCGP, les professionnels ont aussi bénéficié du formalisme de la relation client imposé depuis la crise des subprimes.

Car la réglementation n’est pas seulement synonyme de contrainte : du document d’entrée en relation à la lettre de mission détaillant le mode de rémunération du conseil, en passant par le profil de risque du client et la déclaration d’adéquation précisant les risques des investissements, elle a sans doute permis aux CGP d’établir des relations plus étroites avec leurs clients, et à ces derniers d’améliorer leur culture financière.

Pas de retour en arrière

Quant à la réglementation actuelle, qui avait tendance à privilégier les mesures en faveur de l’environnement ? "Il paraît difficile de revenir en arrière, au moins en Europe, et ce même si quelques lobbies tentent de pousser pour que la relance économique soit privilégiée au détriment de réformes vertes", tempère Anne-Claire Impériale.

Même dans certains secteurs qui pourraient avoir intérêt à retarder la transition écologique, comme l’automobile par exemple, les projets permettant la baisse des émissions moyennes par véhicule étaient enclenchés avant la crise et ne vont pas être abandonnés.

Le changement climatique est un élément structurant de notre avenir économique et social, Laurent Jacquier-Laforge, La Française

"Le pire qu’il puisse arriver, c’est que la transition soit retardée, mais elle n’est pas remise en question", poursuit la professionnelle. A contrario, certains secteurs d’activité vont probablement bénéficier de la crise du coronavirus, à l’image des entreprises technologiques et de l’industrie du jeu et du divertissement, qui sont des gagnants immédiats, ou des secteurs de la santé et de l’agroalimentaire, dont l’utilité sociale est incontestable. D’autres devront être accompagnés, soit parce qu’ils sont actuellement incompatibles avec un monde plus résilient - c’est le cas du tourisme et du transport, par exemple -, soit parce qu’ils ne sont pas encore exemplaires, mais peuvent contribuer à un modèle plus durable.

C’est le cas de l’immobilier, un secteur qui représente 43% des consommations énergétiques annuelles françaises et génère 23% des émissions de gaz à effet de serre du pays, selon le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. "Cette classe d’actifs est cruciale. L’immobilier structure la ville, a une influence sur la consommation d’énergie, sur la préservation de la biodiversité, sur la mobilité", liste Laurent Jacquier.

Les sociétés dont l’utilité sociale est réelle vont être plus attractives, Anne-Claire Impériale, Sycomore AM

Une recherche accrue de sens

Les fonds actions ne seront pas non plus oubliés demain, encore moins les fonds durables. "Jusqu’à présent, nous avions très peu de demandes de nos clients sur les fonds durables. Mais on constate un intérêt de plus en plus important pour cette catégorie de placements", souligne Julien Séraqui. S’il est difficile de prédire l’avenir des entreprises durables, la crise semble en tout cas avoir montré que celles qui ont pris en compte des critères sociaux et environne- mentaux ont renforcé leurs armes pour lutter contre des fluctuations de marchés.

"Ce qui va rester de cette crise, ce sera probablement la recherche accrue de sens : dans ses investissements, dans ses actes de consommation, chez son employeur", conclut Anne-Claire Impériale. Personne ne sait de quoi demain sera fait, mais les acteurs de la finance sont prêts à militer pour que la pièce retombe du bon côté. Le pire étant sans doute que rien ne change.

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