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Analyses

Finance verte : de plus en plus d'entreprises tentées par le crédit à impact

Obtenir un prêt bancaire à moindre coût, à condition d'atteindre des objectifs environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) préalablement définis : la formule du "crédit à impact" séduit un nombre croissant d'entreprises françaises.

Apparu en 2017, ce nouveau produit, mieux connu sous sa dénomination anglaise de "positive incentive loan" ou "sustainability improvement loan" connaît depuis deux ans une ascension fulgurante. En 2018, ces crédits ont représenté 36,4 milliards de dollars à l'échelle mondiale, soit une progression de 677 % par rapport à 2017, selon un rapport de BloombergNEF publié en janvier, et atteignent déjà quelque 15 milliards d'euros pour 2019. EDF, qui détient le record du montant emprunté avec 4 milliards d'euros en novembre 2018, a d'ailleurs annoncé ce vendredi la conclusion d'un troisième crédit à impact, de 300 millions d'euros, avec la banque espagnole BBVA.

Quand le crédit bancaire classique conditionne le taux d'intérêt payé par l'emprunteur à des critères uniquement financiers, le crédit à impact prend également en compte des indicateurs extra-financiers. Il peut d'agir d'une note ESG globale établie par des agences de notation extra-financière telles que Vigeo Eiris ou Sustainalytics, ou d'indicateurs de performance précis définis par l'entreprise. Le plus souvent, le crédit est adossé à un mélange des deux. "Chaque transaction aujourd'hui est encore une expérimentation", observe auprès de l'AFP Sandrine Enguehard, responsable de la structuration à impact positif chez Société Générale. "Aujourd'hui il n'y a pas de standard en tant que tel sur ce qu'on intègre comme conditions", abonde Baptiste Janiaud, directeur administratif et financier de Séché Environnement.

Contrôlé par un tiers

Le groupe, spécialisé dans le traitement des déchets dangereux, a souscrit en juillet 2018 un crédit à impact de 270 millions d'euros dont le taux est indexé à la fois sur une notation ESG globale, évaluée par l'agence de notation extra-financière EthiFinance, et sur des critères propres tels que l'autosuffisance énergétique et la préservation de la biodiversité. "Il est nécessaire que la mesure de la performance soit pertinente pour l'emprunteur au regard des enjeux auxquels il doit faire face", poursuit Mme Enguehard. Mais "quel que soit l'indicateur choisi, il faut qu'il y ait un tiers externe qui vienne relever les compteurs", avance de son côté Emmanuel de la Ville, directeur général d'EthiFinance.

En fonction de l'évolution de ces indicateurs, qui sont audités chaque année, le taux de crédit payé par l'entreprise varie à la hausse ou à la baisse, dans une fourchette qui va de 5% à 10% en moyenne, et selon une grille de prix définie en amont. Avec une dizaine de crédits à impact conclus par des entreprises françaises pour environ 10 milliards d'euros, depuis le premier entre la banque néerlandaise ING et EDF en mai 2017, l'Hexagone s'octroie la première marche du podium.

Si ce marché reste minoritaire au regard des 182,2 milliards qu'ont pesé les obligations vertes (ou "green bonds") l'an dernier, sa croissance à trois chiffres a de quoi faire rêver à l'heure où celle de la dette verte a tendance à s'essouffler. C'est un segment encore "assez limité mais qui va continuer à se développer parce que l'on sent qu'il y a un véritable intérêt des entreprises", relève Christelle Oberlin, responsable du financement des grandes entreprises chez ING.

Plus accessible

D'autant que contrairement aux obligations vertes, dont l'argent doit être "affecté au financement d'un projet vert identifié", détaille-t-elle, le crédit à impact peut servir à financer tout type de besoin de l'entreprise, voire ne pas être utilisé. "Le green bond est vraiment fait pour des industries qui elles-mêmes investissent" mais quand "nous utilisons des produits recyclés pour faire nos bouteilles par exemple, ce n'est pas nous qui allons investir dans les sociétés qui font ce recyclage", explique Florence Saliba, directrice financement et trésorerie chez Danone, qui a levé 2 milliards d'euros via un crédit à impact. "Donc le surcoût que nous allons payer en produisant via ces filières-là ne peut pas être traduit par un green bond et c'est une grosse frustration", complète-t-elle.

Par ailleurs, le ticket d'entrée du crédit à impact est plus accessible que l'obligation verte, car il commence à une centaine de millions d'euros, souligne Cécile Moitry, responsable finance et investissement durable chez BNP Paribas CIB. Résultat: "On s'adresse à une cible beaucoup plus large puisque toute société qui a une politique de responsabilité sociale ambitieuse peut avoir un intérêt dans ce genre de produits", indique Mme Oberlin. "Je cherchais quelque chose qui soit plus global dans l'approche que l'obligation verte", explique Nicolas Dutreuil, directeur général adjoint en charge des finances chez Gecina, dont les deux crédits à impact sont indexés notamment sur sa notation Gresb, l'équivalent d'une notation ESG mais propre au secteur immobilier.

Pour les entreprises, le bénéfice n'est en outre pas que pécuniaire, assurent-elles. "Les critères financiers ne sont pas ce qui nous motive le plus. C'est vraiment le fait que nos investisseurs comprennent notre démarche", précise Benoit Rousseau, directeur de la trésorerie et de l'assurance du Groupe Bel. C'est aussi un moyen de "mobiliser en interne l'ensemble des salariés autour du respect de ces engagements" ESG, plaide Xavier Girre, directeur exécutif d'EDF en charge de la direction financière.

Avec AFP.