L'ESS doit-elle davantage s'ouvrir à des entreprises classiques ? La question divise.
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Finance durable

S'ouvrir aux entreprises classiques ? Les acteurs de l'ESS se déchirent

L'économie sociale et solidaire doit-elle davantage s'ouvrir à des entreprises classiques pour entraîner l'ensemble de la société vers un modèle plus vertueux ? La question déchire le Mouvement Impact France: sa future direction prône cette évolution mais des contestataires crient à la trahison de leurs idéaux.

La controverse est née fin mars, à l'annonce de la composition du futur conseil d'administration appelé à diriger jusqu'en 2026 cette instance réunissant quelque 900 entrepreneurs et dirigeants français ayant mis "l'impact écologique et social au coeur" de leur projet. Le binôme qui s'apprête à prendre la tête du mouvement - Pascal Demurger, directeur général de l'assureur mutualiste Maif, et Julia Faure, cofondatrice de la marque de vêtements responsables Loom - entend faire entrer au conseil d'administration davantage de représentants d'entreprises "classiques".

Il s'agit d'acteurs qui disent partager les valeurs de l'Economie sociale et solidaire (ESS), sans remplir pour autant les critères de l'agrément ESUS (entreprise solidaire d'utilité sociale), comme, par exemple, le plafonnement des salaires de leurs dirigeants.

Le transporteur SNCF, le cabinet d'audit et de conseil KPMG France, ou encore la plateforme de rendez-vous médicaux Doctolib, vont ainsi faire leur entrée au conseil d'administration: ce sont des entreprises "de plus grande taille et en même temps irréprochables sur le niveau et la réalité de leur engagement", a assuré M. Demurger, qui met en avant une "logique d'ouverture". La composition de la nouvelle équipe dirigeante doit être validée lors d'une assemblée générale prévue le 24 mai, par une élection sans suspense, en l'absence de candidature alternative.

Mais la fronde gronde. Le tandem Demurger-Faure veut "changer sans le dire l'identité" du mouvement, en l'ouvrant à des entreprises dont la plupart "n'ont aucune intention de transitionner vraiment vers l'entrepreneuriat social", accuse ainsi Jonathan Jérémiasz, ancien président du Mouvement des entrepreneurs sociaux, l'ancien nom du Mouvement Impact France (MIF).

"Tempête dans un verre d'eau"

Le combat pour un "changement de société" porté par les entrepreneurs de l'ESS "va perdre en efficacité s'il renie ses principes et trahit ses idéaux", dit à l'AFP M. Jérémiasz, qui affirme avoir déjà réuni une centaine d'entrepreneurs sociaux pour dénoncer les "risques et dérives" du nouveau MIF.

A l'inverse, les futurs dirigeants du mouvement assument leur stratégie. "Polliniser" l'économie pour lui faire prendre un virage plus solidaire et plus protecteur de l'intérêt général et du climat "ne se fera pas sans coalition, sans travail conjoint avec ceux et celles qui partagent notre combat", assure ainsi à l'AFP Julia Faure.

L'enjeu est de peser pour "changer les règles" afin que les entreprises ne soient pas pénalisées économiquement lorsqu'elles s'efforcent d'être vertueuses sur les plans social et environnemental, expose la responsable. Face à la controverse, elle dit espérer un "apaisement", car "si on diffère sur la stratégie, je sais qu'on est dans le même camp".

Le vrai sujet stratégique, ça ne devrait pas être un débat sur ce qu'est l'ESS, car la question a été tranchée par la loi, mais sur la façon dont elle devrait devenir la norme de l'économie de demain.

Les futurs dirigeants du MIF ont également fait grincer des dents en affirmant souhaiter faire du mouvement une instance de représentation patronale, complémentaire avec le Medef. Or, "l'organisation patronale du secteur, c'est nous !", s'agace auprès de l'AFP Hugues Vidor, le président de l'Union des employeurs de l'ESS (Udes), qui fédère plus de 30.000 entreprises. Par ailleurs, "ce qui se joue au sein d'Impact France, ça les regarde. Mais s'ils s'ouvrent à des entreprises comme la SNCF ou Doctolib, ils ne peuvent plus se prétendre de l'ESS", ajoute M. Vidor. Pour Timothée Duverger, enseignant à Sciences Po Bordeaux et spécialiste de l'ESS, ce débat "hors sol" s'apparente à une "tempête dans un verre d'eau", d'autant que le MIF "n'est pas représentatif de l'ESS".

"Le vrai sujet stratégique, ça ne devrait pas être un débat sur ce qu'est l'ESS, car la question a été tranchée par la loi, mais sur la façon dont elle devrait devenir la norme de l'économie de demain", affirme l'universitaire, pour qui les deux parties "se tirent une balle dans le pied".

Avec AFP.