Eve-marie Dyon - EMD Patrimoine
Comment sont définis les critères ESG ? Comment des entreprises « non-sélectionnables » par certains fonds ne pourraient-elles pas se retrouver dans d’autres fonds ISR dont le filtre ne serait pas identique ?
Thiên-Minh Polodna - Chargé de mission Forum pour l'Investissement Responsable
Les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) sont la base de l’évaluation extra-financière des émetteurs (entreprises ou entités publiques). Les sociétés de gestion utilisent cette évaluation pour construire leurs fonds ISR. Elles peuvent la réaliser elles-mêmes ou s’appuyer (entièrement ou en partie) sur les services d’agences de notation extra-financière (EthiFinance, ISS-ESG, MSCI, Sustainalytics, ou encore Vigeo-Eiris par exemple). Ces acteurs sont nombreux et ce sont tout autant de méthodologies d’analyses qui leur sont propres. Il n’y a pas aujourd’hui de norme quant aux critères ESG et la manière de les utiliser. L’ISR n’est pas unique, l’utilisation de la donnée ou de l’analyse ESG varie selon les acteurs mais aussi selon le type de gestion responsable qu’ils vont appliquer. Par exemple dans le cas de l’exclusion sectorielle, pas besoin de données ESG, tel ou tel secteur est simplement exclu des investissements. Dans le cas du Best-in-Class, du Best Effort ou encore du Best-in-Universe par exemple, on aura besoin de notes ESG pour construire son univers d’investissement, d’analyse ESG pour sélectionner les valeurs qui progressent le mieux, etc.
Ces méthodes de gestion sont différentes et donnent lieu à des constructions de portefeuille très hétérogènes, ce qui explique qu’on puisse retrouver des valeurs dans certains fonds ISR et pas dans d’autres, ils pratiquent simplement des méthodes de gestion responsable différentes ou n’appliquent pas les mêmes seuils de sélectivité ou d’exclusion. Un fonds Best-in-Class, qui par définition n’exclut aucun secteur, pourra donc comporter des valeurs pétrolières (les meilleures d’un point de vue ESG au sein de leur secteur par contre), ce qui a priori est moins possible dans un fonds thématique orienté vers la réduction des émissions de carbone.
Il convient donc de bien s’informer sur les différentes méthodes de gestion existantes pour appréhender la complexité de la finance responsable.
Xavier Valière-Vialeix - MULTI-EXPERTS PATRIMOINE ET ASSOCIES
Malgré le succès de l'ISR depuis main- tenant plusieurs années, le nombre de fonds ISR éligibles sur les contrats d'assurance reste relativement limité (souvent une dizaine contre des centaines référencés). Comment l'expliquer ?
Philippe Dutertre - AG2R LA MONDIALE, Direction des Investissements, Co-Pilote du groupe de travail ESG-climat de la Fédération française de l’assurance
L’ISR a indéniablement gagné en visibilité et légitimité ; en témoigne notamment la croissance des encours et du nombre de fonds se réclamant d’une stratégie responsable. Mais ces fonds s’adressaient essentiellement aux investisseurs institutionnels. Avec la création récente du label public ISR et du Label TEEC, et l’article 173, cette démarche avance sur la voie de la lisibilité ; un enjeu majeur pour l’épargnant et son conseiller.
La proposition d’une offre responsable en assurance-vie est l’un des engagements souscrit par la profession fin 2017 ; un engagement mesuré dans le cadre du Baromètre annuel ESG-Climat de la FFA. Les sociétés de gestion adossées à des assureurs comptent d’ailleurs parmi les principaux contributeurs à l’essor de ces labels qui seront au cœur des évolutions induites par la Loi Pacte à partir de 2022. L’intérêt des Français pour la finance responsable se renforce ; les produits existent et des tiers indépendants en attestent la qualité. « Epargner Responsable grâce à mon assurance vie c’est (déjà) possible » comme le rappelle la FFA dans son guide à destination des épargnants. Contribuer à l’élaboration et au développement des supports lisibles qu’appellent la Loi PACTE à l’horizon 2022, en adresser les enjeux en termes de formation des réseaux de distribution comptent parmi les objectifs de la feuille de route 2019 du Groupe de Travail que j’ai l’honneur de co-piloter au sein de la FFA... Demain commence aujourd’hui !
Christophe Costecalde - Pact
Les institutionnels étant incités/ contraints à investir sur l’ISR, les flux devraient pousser la collecte sur ces supports ce qui crée- ra un effet de mode au sein de sociétés de gestion, des médias et du client retail. Avant emballage de la commercialisation, ne faut-il pas imposer une norme qui fera référence en établissant des contraintes afin qu’un fonds labellisé puisse prétendre à cette classification ?
Nicolas Mottis - Professeur à l’Ecole polytechnique, Membre du comité scientifique du label ISR
Les fonds se référant à l’ISR connaissent une croissance à deux chiffres depuis quelques années et nombreux sont ceux qui ont aujourd’hui le plus grand mal à cerner ce que cela recouvre. D’après les dernières statistiques FIR AFG (2018), sur les 3.500 milliards d’euros d’actifs sous gestion en France, près de 1.100 milliards feraient l’objet d’une gestion « investissement responsable » et plus de 300 milliards (soit près de 10%) d’une gestion « ISR ». Cela correspond en pratique à des milliers de fonds, effectivement difficiles à trier et hiérarchiser pour un particulier. Et il n’existe pas, comme dans d’autres secteurs, des classements, des notes par étoiles ou lettres ? Techniquement, ce serait probablement prématuré du fait de l’instabilité des définitions liées à l’ISR ou même simplement du manque de données extra-financières adaptées.
S’il n’y a pas de réponse simple, 3 suggestions néanmoins :
• se méfier de l’intensité de la communication des acteurs sur l’ISR. Certains gros acteurs
en particulier achètent de pleines pages de journaux pour dire qu’ils sont 100% ISR, ESG, etc. La réalité est plus nuancée et la robustesse ISR de leurs fonds souvent largement à prouver.
• aller sur les sites des gérants. Certains sont très transparents sur leur méthode et critères. On comprend leurs objectifs et aussi les limites de la dimension « responsable » de leur gestion, c’est un bon signe.
• s’appuyer sur les labels, en particulier les labels ISR et TEEC (ou « Greenfin »). Leurs méthodologies offrent quelques garanties sur la sélection des titres et les objectifs visés. Même imparfaits, ils représentent aujourd’hui l’une des meilleures garanties. Pour le label ISR, plus de 200 fonds d’une cinquantaine de sociétés de gestion et représentant plus de 50 milliards d’euros d’actifs sont déjà disponibles. Etant membre du Comité Scientifique du label, je peux témoigner que nous avons vu passer tous les acteurs en pointe et réellement engagés sur l’ISR.
Cécile Gallizzi - DG FINANCES
L’investissement socialement responsable n’est-il qu’un effet de mode ?
Philipe Cormon - Directeur du Développement – Associé, Trusteam Finance
L’investissement Socialement Responsable n’est pas un phénomène de mode : il s’est largement développé depuis une dizaine d’années dans le monde des investisseurs institutionnels et s’étend largement aujourd’hui dans les portefeuilles des particuliers. En effet, le monde bouge et les clients ont pris le pouvoir sur les entreprises. Ils sont à la recherche de solutions responsables, y compris dans leurs solutions de placements. Mais, comme nous le montrons dans notre livre blanc ISR, ils sont de plus en plus exigeants, demandent de l’impact et ne se contentent plus de beaux discours.
Par exemple, chez Trusteam Finance, nous avons commencé à intégrer des critères extra-financiers en 2010 sur notre fonds actions internationales ROC (Return On Customer). Aujourd’hui la totalité de notre gamme est gérée avec notre approche ROC, qui sélectionne les meilleures entreprises en matière de Satisfaction Client. Ces mêmes entreprises ont compris que pour réussir, elles devaient aligner leurs intérêts avec ceux de leurs clients, leurs employés et la société. Notre recherche interne en matière de Satisfaction Clients a mis en place des partenariats avec des instituts spécialisés dont un partenariat exclusif avec IPSOS pour suivre 5 pays européens et 17 secteurs d’activité. Nous pouvons ainsi analyser près de 5000 entreprises. Trusteam a également édité 2 livres blancs : “La satisfaction client, moteur de performance financière “ et “ La Satisfaction Client pour une épargne responsable et performante”.
Retrouvez l'intégralité du deuxième numéro d'Investir Durable, le magazine de la finance durable.