Pourquoi fusionner ?
La fusion de l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), expert de la sûreté, dans l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme des centrales, a été décidée à huis clos à l'Elysée en février 2023, à la surprise quasi générale.
Un rapport d'un ancien responsable du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), Daniel Verwaerde, est parfois cité, mais classé secret défense.
Il s'agit de "gagner en efficacité sur les moyens de l'Etat engagés dans la relance" du nucléaire, d'"accélérer les procédures et les simplifier", a dit Roland Lescure mercredi aux députés, qui examinent un projet rejeté une première fois en mai 2023.
Pour l'intersyndicale de l'IRSN, cette réforme est une façon de museler l'institut, public mais autonome.
Le gouvernement a démenti que la goutte de trop ait pu être un avis de l'IRSN de l'automne 2022 imposant la prudence au moment où EDF souhaitait redémarrer un réacteur atteint par de la corrosion, en pleine crise de l'énergie.
Associations de consommateurs, de riverains des centrales, experts, élus (pro ou anti-nucléaire) de gauche mais pas uniquement, s'alarment des risques et inconnues du projet.
Quelle expertise ?
L'ASN et l'IRSN sont nées des leçons de l'accident de Tchernobyl de 1986, révélateur de l'opacité du système français.
Le système actuel assure une distinction entre experts et décideurs, les premiers concentrés sur les seuls critères de sûreté (hors éléments industriels, de faisabilité...), les seconds renforcés par cette expertise indépendante.
Le projet de loi renvoie l'organisation de cette séparation au futur règlement intérieur, une garantie insuffisante pour ses détracteurs.
"La démarcation entre expertise et décision est au coeur de la recherche de légitimité et de confiance des organismes chargés de la gestion des risques", explique l'historien du nucléaire Michaël Mangeon. Elle "peut prendre des formes organisationnelles variées", par exemple au sein d'un seul organisme comme aux Etats-Unis. Mais l'autorité américaine dispose de l'expertise de "nombreux laboratoires académiques ou industriels complètement extérieurs", note-t-il.
Des ingénieurs de l'IRSN redoutent en outre une perte de compétence liée à la "découpe" prévue, notamment le rattachement de la sécurité (menaces extérieures) et des équipements de défense au CEA et aux Armées.
"Aujourd'hui toutes les compétences techniques sont dans la maison IRSN. Demain, comment regarder la sûreté par exemple du contrôle-commande des réacteurs EPR sans s'intéresser à la sécurité, aux risques de cyberattaques ?", disait Cyril Huet, expert gestion de crise, à l'occasion d'une des six manifestations organisées par les salariés.
Quelle information du public ?
Le projet supprime la publication des avis d'expertise en amont des décisions, une demande du lobby nucléaire.
Désormais l'idée est qu'"en règle générale on publie ensemble les décisions et les éléments qui les fondent", a dit Roland Lescure, sauf exceptions (publication des avis "un peu après" pour "les décisions très urgentes", "au fur et à mesure" pour les projets engagés sur des années).
"Cela permettra davantage de lisibilité dans la communication", ajoute-t-il.
Quelle attractivité, quels moyens ?
ASN (500 fonctionnaires) et IRSN (1.750 salariés de droit privé) doivent gérer un volume de dossiers inédit (futurs réacteurs, prolongement des anciens...), et crient au manque de moyens.
"Les moyens humains et financiers seront renforcés" pour la future entité, a assuré l'Elysée. Une évaluation est prévue d'ici juillet, alors que la concurrence fait rage entre entreprises du nucléaire pour attirer les compétences.
Mais "comment faire de la recherche dans une autorité administrative! Cela n'existe pas!", prévient le mathématicien Cédric Villani.
A l'annonce de cette "folie technocratique", "j'ai eu peur, viscéralement", a dit l'ex-député jeudi à la presse. "Changer la gouvernance de la sûreté dans un contexte où la main d'oeuvre a perdu en compétence et où vous relancez, c'est comme si vous cherchiez à maximiser les chances d'accident industriel".
Comment y arriver au 1er janvier 2025 ?
ASN et IRSN ont installé 12 groupes de travail préparatoires. Mais si la direction de l'ASN, qui soutient le projet, assure que "les discussions se passent bien", les salariés de l'IRSN disent le contraire et réclament la nomination d'un "préfigurateur" neutre.
M. Lescure l'admet : "J'ai vécu des fusions, certaines réussies, d'autres moins. Je suis convaincu que (une fois le projet adopté, ndlr) le travail ne fera que commencer. Le défi majeur est celui de l'exécution", dit-il, promettant de la "suivre de près".
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Avec AFP.
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