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QUESTION DE LA SEMAINE

Pour ou contre prendre l'avion ? Voici vos réactions !

Depuis quelque temps, au regard de la pollution générée par le trafic aérien, certains citoyens tendent à changer de destinations de vacances en privilégiant la proximité à la distance. Et vous, êtes-vous prêts à moins prendre l'avion pour préserver l'environnement ? Voici la question que nous vous avons posée cette semaine. Retrouvez dans cet article les réponses que vous nous avez apportées, ainsi qu’un aperçu des différents enjeux que soulève ce débat. 

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Êtes-vous prêt à prendre moins l'avion pour préserver l'environnement ?

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Le tourisme mondial en hausse et l’émergence d’une génération "voyage" 

D’après le rapport "Le voyage à travers les générations", rédigé par la compagnie aérienne eDreams et le cabinet d’étude de marché One Poll, les baby-boomers avaient en grande majorité atteint l'âge adulte lors de leurs premiers séjours à l’étranger : 20 % en moyenne n’étaient même jamais sortis de leur pays avant 30 ans. Aujourd’hui et dans nos pays occidentaux, le fait de franchir les frontières s’est presque banalisé chez les classes moyennes et aisées : en moyenne, les enfants voyagent à l’étranger avant leur cinq ans et 27 % d’entre eux ont même déjà quitté leur pays avant leurs deux ans. Ainsi, les jeunes générations voyageraient en moyenne trois fois plus que leurs grands-parents à leur âge.

Extrait du rapport réalisé par eDreams et One Poll
©eDreams

Cette envie de voyager, mais aussi l’élévation des niveaux de vie dans les pays émergents ont entraîné une hausse importante du tourisme mondial, et par conséquent, des trajets aériens. L’ASNenregistre près de 36,8 millions de vols en 2017 – ce qui équivaut au décollage de plus d'un avion par seconde dans le monde. Le nombre de passagers aériens transportés par l’aviation civile est passé de 1 milliard en 1990, à 4 milliards en 2017. Chaque seconde, 127 personnes embarquent donc dans avion. 

Cette envie de voyager et de découvrir de nouveaux lieux et de nouvelles cultures s'est particulièrement ressentie dans vos commentaires. Nombre d'entre vous ont expliqué ne pas concevoir arrêter de prendre l'avion pour ces raisons-là. 

J’avoue que j’aurais du mal à me passer de l’avion. #jaimetropvoyager

Découvrir de nouveaux pays est une passion. Et certes, si des millions de personnes stoppaient, cela aurait un bel impact sur l’écologie mais pas forcément sur notre connaissance, notre apprentissage et notre ouverture d’esprit. 

[…] Pour moi c’est un vrai dilemme ! Je rêve depuis toujours de voyager et de faire le tour du monde, seulement l’impact écologique ternit un peu ce rêve. 

Ce à quoi certains d'entre vous répondent qu'il faudrait songer à modifier ses habitudes de voyage et comparent même de cette fascination pour l'ailleurs à un phénomène de mode : 

Les gens ont envie d’aller très loin. Donc le plus souvent d’aller loin en avion. […] Cette frénésie de voyages lointains, on y est poussés par les vidéos, la pub, le besoin de faire comme tous ceux à qui on s’identifie. 

Voyager en avion, c’est plutôt un caprice, jusqu’en 1950 pratiquement personne ne prenait l’avion. 

D’autres partagent cet avis, mais expliquent ne pas avoir le choix pour des raisons familiales ou pratiques notamment. Nombre d’entre vous déplorent l’inefficacité du réseau ferroviaire français qui ne leur donne pas beaucoup d’alternatives pour voyager :

[…] Ce serait sympa que le quart sud-ouest ait un vrai réseau ferroviaire et que les trajets ne coûtent pas un rein (à une époque c’était vivable, mais ils ont supprimé les trajets de nuit qui étaient pratiques pour les séjours courts et pas chers)…

Je regrette le manque de trains, personnellement. 

Pollution : des chiffres difficiles à décrypter… mais pas moins alarmants

D’après les chiffres du Centre Interprofessionnel Technique d’Études de la Pollution Atmosphérique, si 29 % des émissions mondiales sont générées par les transports, le transport aérien ne représente que 3,5 % d’entre elles - soit quinze fois moins que les voitures. Cependant, un rapport de Réseau Action Climat précise que le transport aérien émet 14 à 40 fois plus de CO2 que le train par kilomètre parcouru et personne transportée. Inquiétant lorsque l'on considère les estimations de l'OACI - l'Organisation de l’Aviation Civile Internationale -, qui mise sur une multiplication par deux du nombre de passagers aériens d'ici 2036. 

Cette augmentation est d'ores et déjà considérable. L'ONG belge Transport et Environnement affirme que les émissions de CO2 générées par l'aviation civile ont augmenté de 4,9 % en Europe en 2018 et de 26,3 % ces cinq dernières années : "de quoi dépasser largement les autres modes de transport". L’ONG vient de publier un classement des plus gros pollueurs européens et cette année, la compagnie aérienne Ryanair y a fait son entrée - en 10ème position. La firme est responsable de l'émission de 9,9 millions de tonnes de CO2 en 2018 - soit une hausse de 6,9 % sur un an, et de 49 % sur cinq ans. Selon l'organisation, "l'entrée de Ryanair dans le top 10 reflète l'échec de l'Europe à mettre en place des mesures efficaces pour freiner la croissance effrénée des émissions de l'industrie du transport aérien". 

Bon à savoir :

Les particuliers ont désormais la possibilité de calculer l’empreinte carbone que représentent leurs déplacements. ID vous propose de découvrir quelques calculateurs en ligne ici et ici. Les chiffres sont disparates d’un calculateur à l’autre, car tous les facteurs ne sont pas toujours pris en compte, tels que la pollution générée par la fabrication des véhicules, les produits de consommation proposés dans les avions, mais aussi les traînées de condensation – les traînées blanches que laissent les avions sur leur passage – qui auraient, selon une récente étude, un impact encore plus important que le carburant brûlé par les appareils. 

Il existe des divergences entre les différentes études réalisées et les calculateurs en ligne, lorsque l’on tente de comparer les trajets en voiture à ceux en avion par exemple. Les résultats varient lorsque l'on prend en compte - ou non - le remplissage de la voiture et que l'on divise l’empreinte carbone du trajet par le nombre de passagers - ce qui est déjà le cas pour les transports collectifs. Les résultats diffèrent également si l'on se base sur le nombre de kilomètres parcourus ou sur les temps de trajet. Selon l’ADEME par exemple, un trajet de 500 km aller-retour en avion correspond à entre 145 et 241 kg de CO2 par passager - contre 170 kg environ pour le transport en voiture. Cependant, se baser sur le nombre d’heures donnerait un résultat singulièrement différent car, à temps de trajets équivalents, le nombre de kilomètres ne l’est pas. L’avion permet de parcourir des milliers de km en quelques heures, mais ces km parcourus ont un plus gros impact sur l’environnement. Ainsi, ce qui fait réellement la différence en termes d'émissions de CO2 est la distance du trajet. 

Le dilemme de la taxation du kérosène

Certains d'entre vous se sont interrogés sur la responsabilité des autorités à propos de l'augmentation des émissions de CO2 générées par le trafic aérien. Parmi les questions revenant le plus fréquemment : pourquoi le kérosène - le carburant utilisé dans l'aviation - est-il exonéré de toute taxe ? 

Un texte difficile à modifier

Le carburant pour avions a été exonéré de taxes - pour les vols internationaux - par la Convention internationale de Chicago, ratifiée en 1944 par 191 pays. L’objectif était à l’époque d’encourager le développement du trafic international. Ainsi, modifier la législation internationale de façon multilatérale supposerait de renégocier ces accords... et d'obtenir un vote unanime des 191 États. "Les pays européens ont proposé, à plusieurs reprises, cette solution lors des assemblées générales de l’OACI, mais ils n’ont jamais pu obtenir un consensus", indique la Cour des Comptes

Cependant, ce texte n'empêche en rien les pays signataires de taxer le kérosène sur les vols internes, ce qu’ont fait les USA, le Brésil, le Japon, la Norvège, la Suisse et les Pays-Bas. Ce n’est pas le cas de la France, qui n'applique pas non plus de TVA sur les billets internationaux - 10 % sur les vols internes -, ni la TICPE - taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques. 

Cette exonération est une des raisons pour lesquelles les trajets en avion reviennent parfois moins chers que les trajets en train. Ce poids financier est un des arguments les plus repris par nos internautes : 

Depuis chez moi, les voyages en train c’est compliqué et surtout très chers pour une famille de cinq personnes (beaucoup plus cher que l’avion low-cost malheureusement !)

Tant que prendre le train est plus cher et plus long que prendre l’avion, difficile de s’en passer. 

Il y a aussi le fait que pour la plupart des gens la durée des vacances et le budget ne sont pas extensibles. 

En France, le trafic aérien n'est cependant pas exonéré de toute taxe. Selon la Cour des comptes, l’avion est le seul mode de transport à devoir financer intégralement le coût de ses infrastructures, ainsi que les contrôles de sûreté : ce sont en théorie des tâches régaliennes - sous la responsabilité de l’État. Cependant, Libération rappelle que les aéroports régionaux bénéficient de subventions de la part des collectivités locales. Le transport aérien est également assujetti à une taxe sur les nuisances sonores et à la taxe de solidarités qui doit financer la lutte contre les épidémies dans les pays du tiers-monde. Ces taxes représentent actuellement 50 % du prix d’un billet d’un vol intérieur selon Les Echos. L’OACI a aussi récemment adopté le projet Corsia : les compagnies pourront acheter des "compensations" pour continuer à émettre du dioxyde de carbone, en investissant dans des projets environnementaux à hauteur de leur pollution. Mais selon Andrew Murphy - directeur de l'ONG belge Transport et Environnement - cette idée reviendrait à accorder un "droit de polluer" aux compagnies aériennes. 

Des détracteurs de plus en plus nombreux

En 2015, des députés écologistes avaient en vain milité pour l’adoption d’un amendement proposant de supprimer d’ici 2019 l’exonération de taxe dont bénéficie le kérosène. Plus récemment, le sujet est revenu sur la table avec la crise des "gilets jaunes", qui ont notamment mis en avant leur incompréhension face à la hausse des taxes pour les automobilistes et l’absence d’action contre la pollution générée par le trafic aérien. De nombreuses associations de protection de l’environnement et plusieurs partis politiques de gauche réclament aujourd’hui la mise en place d’une taxation sur le kérosène. 

Dès lors, pourquoi cette inaction de la part des autorités françaises ?

Tout simplement parce que taxer le kérosène pourrait mettre en danger la compétitivité des compagnies aériennes françaises, notamment face aux compagnies low-cost étrangères. Cela ferait augmenter le prix des billets d’avion et aurait certainement un impact sur le tourisme en France. Gérald Darmanin a indiqué que taxer le kérosène mettrait Air France "en difficulté" car "toutes les autres feront le plein ailleurs". Le ministre de l’Action et des Comptes Publics a ainsi affirmé être favorable à une taxation du kérosène - et du fioul - mais que "si on taxe plus les transports maritimes et les transports aériens, il faut le faire sur une assiette européenne". Et pourtant, le rapport de Réseau Action Climat – cité plus haut – met en avant un important manque à gagner économique : si la France taxait le kérosène de ses vols intérieurs – qui représentent 20 % du trafic aérien national – elle pourrait gagner 310 millions d’euros par an. 

Au contraire, le dernier argument avancé par le gouvernement est lié au manque d’efficacité que pourrait représenter cette mesure, au vu de la proportion de vols intérieurs qui représentent "4 % du trafic aérien" comme l’avançait Brune Poirson sur France Info. "Soyons efficaces. Réellement. Faisons-le à une échelle qui compte. À l'échelle européenne (...) Il ne faut pas que ce soit une mesure qui ne touche que les compagnies aériennes françaises. Vous plombez la compétitivité des entreprises françaises".

L'ONG belge Transport et Environnement regrette l’inaction de l’UE : "il ne faut pas s'étonner que le moyen de transport le moins taxé est aussi celui qui connaît la plus forte croissance en termes d'émissions de CO2". L'idée d'instaurer une taxe à l'échelle européenne a cependant été évoquée pour la première fois par les Pays-Bas et a été relayée en mars par la Belgique, lors d'une réunion du conseil des ministres de l'Environnement de l'Union européenne. 

"Stay on the ground" : ne prenons plus l'avion !

Dans ce contexte, le mouvement "Stay on the ground" - "restons au sol" - a le vent en poupe. Au vu de l’inaction des autorités concernant la taxation des carburants aériens, les particuliers commencent à changer leurs comportements. Greta Thunberg en est une incarnation frappante : la jeune suédoise à l'initiative du mouvement YouthForClimate a notamment effectué 32 heures de train pour rejoindre la Suisse – à l'occasion de son discours au Forum Mondial Economique de Davos - et a également choisi ce moyen de transport lors de son tour d'Europe. Dans son pays, un terme qualifie même la "honte" de prendre l'avion : le "Flygskam", comme le rapporte La Voix du Nord

En France, Libération publiait le 11 février le manifeste "Nous ne prendrons plus l'avion", rédigé par Julien Goguelqui incite au boycott des transports aériens. S’adressant aux citoyens désireux de changer leurs habitudes de vie en vue de réduire leur empreinte carbone, il explique que selon lui, il s’agit avant tout de rester cohérent : "ne plus prendre l’avion, c’est lier nos actes à nos discours", écrit-il. En effet, un trajet en avion dans l’année peut suffire à annihiler tous les efforts menés durant cette même année : "entre une année de vie en France (déplacements quotidiens pour aller travailler, chauffage, consommation électrique, alimentation…) et une semaine de vacances à Bali, mon impact sur le réchauffement du climat est strictement le même". Que faire dans ce cas ? L’auteur du manifeste propose de "repenser notre rapport à l’ailleurs et au voyage". Proximité et lenteur pourraient en somme finir par remplacer vitesse et distance.

L’avion a aboli les distances ? Restaurons-les. […] Au culte de la vitesse, nous opposons l’éloge de la lenteur. Julien Goguel, Libération

Dans un rapport publié en décembre 2018, le cabinet d’audit B&L Évolution donne un exemple des mesures concrètes qui permettraient, si elles étaient appliquées, de s’inscrire dans une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5°C préconisé par le rapport du GIEC. Concernant le transport aérien, ce rapport propose d’autoriser deux vols long courrier par jeune de 18 à 30 ans, période durant laquelle "l’individu finit de construire son identité culturelle", et d’instaurer une loterie nationale distribuant 500 000 vols par an. Cette idée semble particulièrement séduisante pour Julien Goguel, avec qui ID s’est entretenu. "Cela permettrait de préserver le brassage des cultures et que cela ne bénéficie pas toujours aux mêmes classes sociales". Il faudrait que les personnes ayant déjà "épuisé leur crédit carbone" donnent la priorité aux jeunes générations afin qu’elles puissent "par le partage et la rencontre". Selon lui, "un vol non justifié par une raison professionnelle ou familiale est un vol non justifiable, et condamnable. Et il faut culpabiliser ces gens, c’est ce qu’a fait la jeune Greta Thunberg". 

Il n’y a plus de place pour tout le monde. Il y en a assez dans l’offre commerciale, mais à chacun de dire "moi j’ai mangé ma part". Julien Goguel, propos recueillis par ID.