Car la disparité freine l'innovation et risque de générer des biais algorithmiques, estime Patrice Caine dans un entretien à l'AFP au moment où Paris accueille un sommet international sur l'intelligence artificielle.
Face aux "signaux d'alarme" comme l'effondrement du nombre de femmes admises à l'Ecole polytechnique, il s'investit pour que la "désaffection" des jeunes filles pour les sciences ne devienne pas une "fatalité".
Dans ce "gigantesque laboratoire" qu'est Thales dont près de la moitié des 80 000 salariés sont dans la recherche, financée à hauteur de 4 milliards d'euros par an, il n'y a "pas assez de femmes", reconnaît le patron, sans toutefois vouloir donner de chiffre.
Il suffit de se balader dans les couloirs des laboratoires de recherches de Thales à Palaiseau, où avait travaillé le prix Nobel de physique Albert Fert, pour s'en rendre compte.
"C'est autant notre devoir que notre intérêt d'avoir de la pluralité dans nos équipes entre les hommes et les femmes, entre les générations ou entre les parcours académiques", souligne-t-il.
Algorithmes biaisés
Les grands sauts technologiques se produisent "à l'interface" de sciences et d'approches. "Si on met des équipes pluridisciplinaires et mixtes hommes-femmes, c'est là où on a le plus de chances de créer ces fameuses innovations de rupture", assure le patron de Thales.
Nombre d'études "nous alertent" sur les biais algorithmiques, dit-il aussi. "Elles montrent qu'une équipe purement masculine ou mixte ne conduit pas au même type d'algorithmes, ni au même type de résultats à la fin. (...). On ne veut pas aller dans cette voie-là".
La désaffection actuelle des jeunes femmes pour les filières académiques scientifiques se répercute sur les entreprises, souligne-t-il en estimant qu'il faudra attendre au moins dix ans pour que la situation s'améliore.
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Il faut y remédier "dès le collège" quand "nos jeunes (...) ne sont pas encore trop façonnés par leur environnement familial ou scolaire. Au lycée quand vous êtes déjà dans des filières, c'est trop tard", estime Patrice Caine.
Enseigner les mathématiques de façon ludique pour casser l'image d'une matière "rébarbative" et inaccessible est une autre piste, avance ce père de famille qui a dû accompagner son fils tout au long de sa scolarité. "Il a appris à aimer ça, mais ce n'était pas spontané", sourit-il.
En tant que chef d'entreprise, il collabore avec l'association Elles bougent qui vise à susciter des vocations féminines pour les métiers d'ingénieurs dans l'aéronautique et le spatial.
"Elles vont dans les écoles pour dire "On peut réussir. La preuve : je suis une personne réelle. Je fais des choses extraordinaires ; je construis des satellites qui vont observer la Terre pour mieux comprendre le dérèglement climatique ; je fais des équipements d'avionique qui vont permettre de voler dans des conditions de sécurité optimales"", raconte-t-il.
Dans certains pays, la réussite en sciences pour les femmes est une façon de s'émanciper ou de s'élever socialement, estime Patrice Caine en citant l'exemple de l'Inde et pour expliquer pourquoi les deux seules femmes médaille Fields, considérée comme le prix Nobel des mathématiques, sont depuis 1936 l'Iranienne Maryam Mirzakhani (2014) et l'Ukrainienne Maryna Viazovska (2022).
C'est moins le cas dans les pays occidentaux où il faut trouver d'autres incitations et "visiter une usine qui construit des satellites ou des fusées, cela peut faire rêver", remarque Patrice Caine.
Avec AFP