En Allemagne, des chercheurs de l’Université de Stuttgart ont développé un béton nouvelle génération, conçu à partir d'urine humaine.
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En Allemagne, un béton écologique fabriqué à partir d’urine humaine

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En Allemagne, des chercheurs de l’Université de Stuttgart ont développé un béton nouvelle génération, conçu à partir d’un ingrédient pour le moins inattendu : l’urine humaine. Cette innovation, à la croisée de la biotechnologie et de l’économie circulaire, pourrait offrir une alternative durable au béton traditionnel, fortement émetteur de CO₂.

Le béton est partout, et sa production ne faiblit pas. Chaque année, près de 14 milliards de mètres cubes sont coulés dans le monde, selon l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA). Depuis les années 1990, la demande explose : la fabrication de ciment a été multipliée par quatre. En première ligne, la Chine, qui domine largement le secteur, suivie par l’Europe, les États-Unis et l’Inde.

Mais derrière cette croissance se cache une empreinte écologique considérable. Et le problème vient du ciment, ingrédient central du béton, qui en est aussi le composant le plus polluant. Fabriqué à partir de clinker, un mélange de calcaire (80%) et d’argile (20%) cuit à haute température, le ciment libère une quantité importante de CO₂ lors de sa production.

L’urine humaine, nouvelle matière première

Face à ce constat environnemental, des chercheurs de l’Université de Stuttgart ont osé une piste aussi audacieuse qu’originale : remplacer le béton conventionnel par un bio-béton, conçu… à partir d’urine humaine.

Baptisé SimBioZe, ce projet réunit les expertises de trois instituts de l’Université de Stuttgart autour d’un même objectif : explorer les possibilités offertes par la biominéralisation. Cette technique biotechnologique repose sur l’utilisation de micro-organismes capables de générer des matériaux inorganiques par le biais de réactions chimiques naturelles.

La dégradation de l’urée par les bactéries, associée à l’ajout de calcium, provoque la formation de cristaux de carbonate de calcium. Ce processus solidifie progressivement le sable pour former du bio-béton. Au terme de cette réaction, on obtient un matériau chimiquement proche du grès calcaire naturel.

"Nous mélangeons une poudre contenant des bactéries à du sable, puis versons ce mélange dans un moule. Il est ensuite rincé pendant trois jours avec de l’urine enrichie en calcium, selon un procédé automatisé", explique Maiia Smirnova, chercheuse à l’Institut des structures légères et du design conceptuel (ILEK). "La dégradation de l’urée par les bactéries, associée à l’ajout de calcium, provoque la formation de cristaux de carbonate de calcium. Ce processus solidifie progressivement le sable pour former du bio-béton. Au terme de cette réaction, on obtient un matériau chimiquement proche du grès calcaire naturel."

Un matériau prometteur

Les premiers tests, menés grâce au soutien du ministère des Sciences, de la Recherche et des Arts du Bade-Wurtemberg, se sont révélés prometteurs. En utilisant de l’urée technique, une version industrielle très pure, les chercheurs ont obtenu une résistance à la compression de plus de 50 mégapascals, un niveau largement supérieur à ce qui avait été atteint jusque-là avec la biominéralisation.

Avec de l’urée artificielle, c’est-à-dire un substitut de l’urine humaine, la résistance reste correcte, atteignant 20 mégapascals. En revanche, les performances chutent à 5 mégapascals avec de l’urine humaine réelle, en raison de la diminution de l’activité bactérienne au fil du processus de solidification.

Pour autant, tout n’est pas perdu. D’après l’équipe, une résistance située entre 30 et 40 mégapascals suffirait déjà pour bâtir des bâtiments de deux à trois étages. En outre, les chercheurs mènent des tests pour vérifier si le matériau peut supporter les variations de température, notamment les cycles de gel et de dégel, une condition essentielle pour pouvoir l’utiliser en extérieur.

Vers une économie circulaire du béton

Pour Lucio Blandini, directeur de l’ILEK, l’intérêt de cette innovation ne s’arrête pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre : "En plus de consommer bien moins d’énergie et émettre moins de gaz que la production conventionnelle de ciment, le processus de fabrication du bio-béton est également durable parce que nous intégrons le produit dans une chaîne de valeur circulaire."

En effet, l’idée des chercheurs est de capter l’urine directement à la source, dans des lieux à forte affluence comme les aéroports. Cette ressource, habituellement évacuée comme un déchet, serait alors réutilisée pour produire du bio-béton, tout en permettant l’extraction de substances secondaires destinées à la fabrication d’engrais agricoles.

Photo du bio-béton conçu par les chercheurs de l’Université de Stuttgart.
©University of Stuttgart

Cap sur l’aéroport de Stuttgart 

Forts de ces premiers succès, les chercheurs viennent d’obtenir une prolongation de trois ans de leur projet par le ministère du Bade-Wurtemberg. Objectif : identifier les composés présents dans l’urine humaine qui freinent l’activité bactérienne, afin d’en améliorer la transformation. En parallèle, l’équipe travaille main dans la main avec le Centre pour l’agriculture biologique de l’Université de Hohenheim dans le but d’optimiser la production simultanée d’engrais.

Prochaine étape : la réalité du terrain. Une installation pilote sera déployée à l’aéroport de Stuttgart, où l’urine des passagers sera collectée, traitée, puis transformée sur place… en matériaux de construction.